Le blog de Flora

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Oeuvre de Gilbert * La Trilogie Armstrong (inédit et inachevé) 2.

12 Novembre 2009, 16:49pm

Publié par Flora

   Malade depuis trois jours, je me métamorphose. Hier, je n'éprouvais que dégoût pour les biographes de leurs propres entrailles, qui pondent un volume dès qu'un bouton leur pousse sur le nez, mettent en scène leur ménopause, leurs gonocoques, leur impuissance et leurs divorces, les adultères de leurs parents, le retour d'âge de leurs bassets. Et me voici lancé dans un journal ! Pour l'occasion, j'ai même acheté un cahier. Clairefontaine, 288 pages, grands carreaux, couverture bleue. L'indécence absolue ! Un universitaire sérieux se doit d'agoniser en silence... ou de ne pas agoniser.
   La langue est camouflage. "Limite" ne veut pas dire "cancer". Si je ne l'avais pas tuée, Véronique s'accrocherait à ces pauvres syllabes. Nous serions trapézistes, lancés dans des acrobaties verbales et des sauts périlleux. Mes cent-vingt-cinq kilos sur un trapèze.
  
Hôpital du jour. J'entre à huit heures. On m'installe dans la chambre ; je lis. Toute la journée, dans cette demeure un peu trop campagne qui n'avait l'air que d'un lieu de sieste entre deux promenades ou pendant l'averse, une de ces demeures où chaque salon a l'air d'un cabinet de verdure et où, sur la tenture des chambres, les roses du jardin dans l'une, les oiseaux des arbres dans l'autre, vous ont rejoint et vous tiennent compagnie... Le médecin s'approche, flanqué d'un interne et d'une infirmière.
  
Ėtait-il nécessaire de tuer Véronique ?

*

   Un cancéreux réduisait le Tour de France à une course sans éclat, trop facile pour son incroyable puissance. Le contre la montre autour de Metz lui avait accordé le maillot jaune. La première étape de montagne confirmait l'absence de tout rival. Le Galibier fut franchi sans efforts, avant une montée vers Sestrières maquillée en triomphe.
   Au même moment, un cancéreux qui s'ignorait encore, pour quelques jours, déplorait de ne pas être coureur cycliste. Si Philibert Tique avait escaladé le Galibier, il l'avait fait en vingt-deux stations, contraint à quatre arrêts avant même le Plan Lachat que les spécialistes désignent comme le véritable début du col. Chaque fois qu'il posait pied à terre, les poumons incendiés, muscles tétanisés, ses illusions papillonnaient, avant de fondre dans le ravin ou de s'enfouir dans les congères du bord de la route, insectes moribonds que son cerveau en manque d'oxygène métamorphosait en cercles noirs, zéros accusateurs. Il lui fallait s'extraire de la liste des champions, même les plus misérables, ceux qui se contentent de la lanterne rouge. Sur les hauteurs du col, dans les vomissements du grimpeur dérisoire, s'ouvrait une carrière de pâle intellectuel. Combien d'universitaires comme Philibert Tique ne sont que des athlètes déçus, des danseuses trop pesantes, des acteurs sans talents... (...)  

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Oeuvre de Gilbert * La Trilogie Armstrong (inédit et inachevé...)

6 Novembre 2009, 16:54pm

Publié par Flora

                                            Et serait-on seulement sûr encore que toute la peine qu'il faudrait lui faire aurait un résultat?
                                                                                        
Franz Kafka, Le Verdict

   Lorsque mourut Philibert Tique, son épouse fit graver sur la tombe l'épitaphe qu'il concoctait depuis des mois : 
               Dans une vie sans éclat, il ne connut qu'une envolée : le 21 juillet 1969, 
Neil Armstrong posait le pied sur la Lune.
   Nul n'écrira jamais la biographie de Philibert Tique. Les biographes ont tort. Derrière les vies médiocres se dissimulent souvent des destins convulsés, des espoirs atrophiés. L'épitaphe, par exemple. Rien n'y est mensonger ; l'essentiel est absent. Derrière Neil Armstrong, l'astronaute, se dissimulent deux homonymes, Louis et Lance...
   Le 25 juillet 1999, Lance Armstrong remportait son premier Tour de France. Six autres allaient suivre. Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain, cinq victoires chacun, faisaient soudain figure de nains de la route. Depuis la salle d'attente, Philibert Tique entendit crier une vieille femme.

*

   En fait, l'examen n'est pas très douloureux. Un bon craquement quand l'aiguille pénètre dans le sternum, façon coup de poignard. Du moins, c'est ainsi que j'imagine les coups de poignards. La moelle est aspirée dans une seringue. Une seconde désagréable, deux au grand maximum.
   Le pire a précédé. L'hématologue hésite sur les chiffres en colonnes, les résultats de l'analyse sanguine, lève les yeux, furtif. Poussé dans ses retranchements, il fait part de ses doutes. Il faudrait confirmer par un prélèvement de moelle mais l'hypothèse "maligne" n'est pas à écarter. Les médecins blonds sont dangereux. Est-ce que Kafka est blond, Stendhal, Dostoïevski ?
   J'accepte la ponction, réalité sournoise dans laquelle on m'englue. Dans la pièce voisine, une infirmière m'attend, pour seconder le maître. Je la voudrais sinistre, vieille, moustachue, dans les décors de
Pavillons des cancéreux, une façon de devenir Kostoglotov ou Roussanov, de leur confier la maladie pour qu'ils l'enferment au fond d'un livre. Il n'en est rien. Les murs sont clairs et propres, le sourire engageant. Aucune odeur de crasse et de médicaments.
   Toute expérience est instructive. J'apprends le mot "myélome" : tumeur médullaire maligne.

Pour mesurer le temps, les Chinois utilisaient de longues baguettes, horloges à feu enduites d'un produit végétal. L'ensemble se consumait au ralenti. La longueur de bois brûlée indiquait  l'heure. Des fils pouvaient être fixés en des endroits bien précis de l'ensemble. A leur extrémité, de petites billes. Lorsque le fil devenait flamme, la bille tombait sur un gong.


  Au téléphone, l'hématologue annonce un résultat "limite" et la nécessité d'un nouveau prélèvement, dans l'iliaque. Un os de plus pour l'engrenage. Je songe à Kafka. La herse de
La colonie pénitentiaire trace la sentence, à coups d'aiguilles, à même la chair du condamné. De piqûre en piqûre, que souhaite-t-on écrire sur ma peau ? Seraient-ils au courant de mes assassinats, ces crimes  que je croyais parfaits ? (...)
le début du dernier roman de Gilbert, inachevé et qui m'attend pour être terminé... 
     

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Oeuvre de Gilbert * Le mépriseur (roman) - extrait

23 Octobre 2009, 15:30pm

Publié par Flora

[...] Ce soir-là, une sensation refoulée monte en lui lentement, sensation d'avant l'enfermement, qu'il faudra accompagner de mots virulents ou noyer sous un flot de clémence. Le mépris, il croyait bien l'avoir aboli, s'être tellement détaché d'eux, les avoir tellement niés qu'il n'avait plus lieu de les haïr. Ce soir, il voudrait, une dernière fois peut-être, le conserver, le protéger, lui donner, sans le renforcer car cela n'est plus nécessaire, l'élan qui manque encore. Une phrase règle le problème, fixe le cours des heures qui suivent :
   "L'amour, c'est l'infini mis à la portée des caniches."
Il se lève, avec difficulté, avec effort, prenant appui sur les bras du fauteuil pour se hisser, malgré les hanches raides, les vertèbres tassées, le lumbago qui le replie en équerre. Parodie de pas, pantoufles raclant le parquet, mouvement déréglés des membres, son corps se force à avancer, gagnant les millimètres, arrachant les centimètres, s'humanisant peu à peu, jusqu'à dépasser leur hauteur. Il les voit clairement devant lui, les entend. Il les sent même, odeur mouillée et forte, poussiéreuse et rance, malsaine à vomir.
   Tondus de frais, shampooinés, peignés, parfumés, des milliers de caniches arpentent les trottoirs, grattent le bitume de leurs petites bottines. Ecrasés de grotesques manteaux qu'ils arborent avec fierté, en frétillant de la queue, ils dandinent l'arrière-train, agitent leurs dernières touffes de poils, se croisent et se bousculent, à perte de vue. Certains, les moins hypocrites, ceux qui ne se sentent pas obligés de supporter le grouillement, aboient, prêts à bondir mais cachant leur couardise sous les crocs qui les défigurent, lâchent quelques gargouillis, quelques sifflements qu'ils veulent terrifiants, avant de s'éloigner, tête haute, bave rentrée.
   Ils sont partout, couvrant les rues, les masquant sous le nombre, barbares assaillant la cité, la dévastant. L'un d'eux, les pattes aux griffes bien limées, mendie un sucre, une caresse qui lui fera oublier qui il est, où il est, et que rien ne pourra le sauver. Ailleurs, un groupe halète, gueule ouverte, langue pendante, devant la pâtée verdâtre étalée dans une vitrine.
  A l'écart sous un porche, un mâle renifle une femelle, savamment, avec une méticuleuse obscénité, sous l'oeil indigné de jalousie des passants. Plus loin, deux autres entrefrottent leurs museaux humides, agités de soubresauts au rythme de leurs râles. Et tout autour, coule le fleuve des caniches, un monde entier de caniches, noirs, blancs, gris, marron, tous semblables, souillant les trottoirs de leurs crottes visqueuses, se ruant à leurs tâches futiles, prêts à se mordre et n'osant pas ; prêts à le mordre, lui, l'ennemi humain, l'étranger repoussant.
   Quand tombe le soir, vient l'heure de reconnaître la défaite et les caniches puants, levant la patte sur les arbres, les murs, les autres chiens, tous dangereux, rentrent s'accoupler dans leurs cabanes identiques, pour créer des caniches, d'autres encore, à l'infini, pour ignorer qu'ils sont caniches. [... ]

Le mépriseur, roman, éditions Manya  1993 

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Oeuvre de Gilbert * "Glissements"

11 Octobre 2009, 20:13pm

Publié par Flora

   Dès que le téléphone a sonné, j'ai compris. Je ne pouvais plus me cacher, retarder l'échéance. J'étais au lit, tâchant de prolonger la nuit, ce qui ne m'arrive jamais. Je me couche parce qu'il faut bien s'abandonner au sommeil, dormant mal et peu, comme un vieil insomniaque. J'allume la lampe et je fixe, des heures durant, une tache de lumière, une ombre, un détail du papier peint que mon imagination forme et déforme.
   Dès qu'il a sonné, j'ai reconnu la double limace poussive, glissant dans la vallée de part et d'autre de la route, entre la voie ferrée et le maigre ruisseau. J'y suis né, le 12 février 1941, et j'y retourne parfois, espérant que les eaux se seront soulevées jusqu'à purifier la rive de la moindre trace humaine.
   Près de l'église anonyme et vulgaire, les paysannes des siècles passés, formes gorgées de saindoux, apportent leur linge au lavoir dont ne subsistent que quelques pierres couvertes de mousse nauséabonde. Elles se relaient en rires sonores, battant les draps, les rebattant, secouent leurs décolletés enflés entre deux commérages. Un trou sinistre et disgracieux que j'ai pris le parti d'embellir en le dotant du joli nom de Vrévillemont.
   Dans l'âcre odeur de la corne brûlée, le maréchal-ferrant, nez boursouflé sur une lèvre molle, martèle un fer rougeoyant. Le bruit lui fait lever la tête : un garçon dévale la rue à la poursuite de son cerceau, toujours plus rapide, toujours plus grinçant sur le gravier, prêt à se renverser et redressé sans cesse. Au sursaut du cheval, affolé par la roue vide qui le frôle, un chargement de paille vacille. Les cris du conducteur, réveillé de son vin, se mêlent à ceux de l'enfant, peu à peu étouffés, tandis que le cercle métallique rebondit sèchement contre une porte de chêne avant de s'abattre à mes pieds.
    Des heures entières, j'allais me poster dans le petit cimetière, l'endroit le plus accueillant du village. Accueillant et réjouissant : bâti à mi-flanc d'une colline, il n'est accessible, les jours d'enterrement, qu'en suivant à pied le chemin pentu qui le relie à l'église. Y a-t-il satisfaction plus profonde, pour un futur cadavre, que d'imaginer les survivants s'époumonant derrière son cercueil ou se tordant les chevilles sur les cailloux ? Tapis entre les caveaux, je surplombais ceux qui viendraient un jour y pourrir  avec moi et je devenais capable de peupler le paysage de paysans d'autrefois que j'avais à peine connus, de parents créés de toute pièce.[...]

Début de la nouvelle "Glissements" in Les morts se suivent et se ressemblent  éditions Manya 1992

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Oeuvre de Gilbert * Pavés du Nord

1 Octobre 2009, 14:25pm

Publié par Flora

[...] Wallain et Sesoing ne sont séparés que par la voie ferrée. Longtemps, un passage à niveau a marqué la frontière entre les deux communes mais il y a dix ans que les derniers convois de houille ont déserté. Comme les filatures fermaient au même moment, ainsi que la ligne de voyageurs pour Lille, jugée trop peu rentable, les rails ne servent plus qu'à aligner les touffes d'herbe et les orties. Autre témoin d'un âge révolu, l'ancienne maison de garde-barrière que Benoît Leblé a rachetée, par fidélité à sa mère. Ses poules picorent en liberté sur les anciens ballasts.
    Pour Wallain, la période faste court de l'aube du siècle jusqu'à la crise de 1929. Les fosses et les usines tournaient à plein rendement, aspiraient la main-d'oeuvre. Les corons s'alignaient. Les patrons construisaient un hôpital, spacieux, et une maison de retraite, de dimensions plus modestes ; la mine offrait davantage d'occasions de se blesser ou de tomber malade que de faire de vieux os.
   Maintenant, la ville n'est plus qu'une bourgade jivaro, un squelette aux façades lépreuses dont les friches constituent la principale richesse, hantées de nostalgiques, et visitées de loin en loin par des économistes, des spécialistes. Ces savants éminents pérorent sur le déclin industriel, sur l'avènement d'une ère des loisirs. Ils escaladent les terrils, conseillant aux élus de remplacer la couche de chiendent par un plastique fluorescent, une piste de ski qui attirera les foules.
   Les survivants du monde ancien ignorent leur chance d'habiter bientôt une station de sports d'hiver. Ils marchent petitement, étayés par leurs cannes, comme les charpentes moisies, les briques disjointes de leurs maisons. [...]

Gilbert Millet : Pavés du Nord,   roman,   éditions Quorum  1997   (extrait)

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Oeuvre de Gilbert * Marathon

24 Septembre 2009, 14:43pm

Publié par Flora

[...] Pendant quelques secondes, dans un arrachement de tous les muscles, il regagnait un peu de terrain sur le barbu. L'instant d'après, il renonçait à le rejoindre, comme si le maillot jaune et mauve avait été cause de tout. La fatigue lui brouillait l'esprit, il en était conscient, mais pas au point d'endormir sa frayeur. A la sortie d'un virage, deux nouvelles victimes l'attendaient, un homme et une femme, une tenue vert-pomme déchirée dans le milieu du dos et une blanche, dépourvue de souillures, la balle ayant percuté la nuque et emporté le sommet de la tête. Un peu plus loin, ils étaient trois, puis deux encore, dont un enfant, atteint en plein visage.
    Arnaud ignora autant que possible ces corps meurtris, ainsi que les suivants, litanie multicolore couchée dans les flaques d'eau. Dans son slalom, il s'épongeait le front, consultait frénétiquement sa montre, curieusement devenue rouge, multipliait les hypothèses. Alors qu'il s'époumonait depuis près de cinq heures, Villesous refusait d'apparaître à l'horizon. Le halètement avait repris derrière son dos et le martèlement des semelles sur le sol, bruit amplifié, démesuré, comme si tous les gisants se relevaient à son passage afin de le poursuivre...
    La banderole surmontait la chaussée, au bout de la ligne droite, une improbable banderole qui aurait dû être tendue sur la grand-place, en face de la mairie ou de l'école, et qui s'agitait en plein vent, dans le paysage rouge de l'affiche. A quelques mètres de la toile, les rayures mauves oscillaient d'un talus à l'autre, incapables de maintenir le cap ou signifiant par ces détours qu'elles repoussaient Arnaud hors des délais. Soudain, le mouvement se suspendit, frappé d'une impuissance subite. Le corps massif se recroquevillait, se désarticulait. Il s'écroula, privé de barbe ainsi que de mâchoire.
   Au passage de la ligne, Arnaud pencha le buste, à la manière d'un spécialiste du cent mètres. Ses jambes refusaient de le porter. Il se trouva emporté dans une culbute, atterrit avec lourdeur au pied d'une balustrade. Des bras surgis de nulle part le relevèrent, sous les applaudissements d'une foule invisible, le juchèrent sur le podium où glapissait le grand homme brun. La coupe du vainqueur brillait entre ses mains et, dans le miroitement du métal, Monique pleurait de joie, un fusil à la main.
fin de la nouvelle "Le marathon" in "Petites tombes en viager"  éditions Quorum  1998  illustration : T.R.

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Miniatures

18 Septembre 2009, 11:54am

Publié par Flora


CERCUEIL



Pour se sentir vivant, rien de tel qu'une petite larme versée sur un cercueil.







(avant de choquer définitivement le lecteur fidèle ou surtout, occasionnel qui n'est pas habitué à l'humour noir de Gilbert, je précise que le dessin n'est pas mon autoportrait... Il n'y a que lui, se sachant condamné, qui avait le courage de regarder la mort en face et de la défier avec de l'humour. Et n'avait-il pas raison nous concernant, des vivants en sursis, dans le confort relatif de notre ignorance de l'heure fatidique?...)



AUTOMNE

L'automne le déprimait. Toutes ces feuilles qui tombaient contre sa volonté, le Président Moulet ne pouvait le supporter, habitué à ce que les gens, les choses lui obéissent, contrôlant les conseils d'administration comme un maréchal règne sur ces troupes, achetant tout et tout le monde pour satisfaire le moindre caprice. Cette année-là, il prit une décision : les milliers de feuilles de son parc seraient collées aux branches. Et comme leurs couleurs décadentes indiquaient trop la mort sournoise qui guettait sous ses fenêtres, il les fit repeindre en vert.

Illustration : R.T.   Gilbert Millet : "Miniatures"  éditions Editinter  1999

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Oeuvre de Gilbert * "A" (suite et fin)

7 Septembre 2009, 14:53pm

Publié par Flora

  [...] La première définition en appelle d'autres. Comment la comprendre si on ignore le sens des mots qui la composent : "voyelle", "lettre", "première", "alphabet" ? Comment la comprendre, sans courir aux autres tomes et détruire l'ordre alphabétique ? Seul le désordre génère du sens. Le pseudonyme s'impose, allusion claire à la naissance, référence à un mythe. La pagaïe s'organise, et l'expulsion du paradis. Lors du big bang, la matière concentrée en un point se libère dans le temps et l'espace qui n'existaient pas.

            Tout est inclus dans cette pointe d'aiguille, l'univers en devenir, l'homme, les galaxies, le béret basque, la poésie et le préservatif.

  
Il écrira l'oeuvre "big bang" où chaque page appelle la suivante mais aussi toutes les autres, le dernier livre qui est aussi le premier, dont les chapitres se suivent pour mieux se déconstruire, dont chaque ligne occupe des places multiples, chaque roman découpé en nouvelles, en textes miniatures, chaque nouvelle prolongée par une pièce de théâtre, un roman. Petit A et grand A. Tout se vaut. Tout se crée, s'accumule, se disperse.

              Avec les proportions où j'avais conçu mon dictionnaire, je me serais perdu sans ressources dans le temps et l'espace si je m'étais laissé aller.

  
Encore Littré. Le dernier livre est infini. L'inachèvement est son destin. Toutes les trente secondes, le corps s'écroule, entraînant micro et déclenchant la bousculade. Au moment d'achever son discours de réception du Prix Nobel de littérature, Adam Eve se suicide, pour assurer son immortalité. Il sort un pistolet, l'introduit dans sa bouche. Sang, éclatement du crâne, la scène se reproduit de chaîne en chaîne, dans toutes les langues. Le coup de feu, le visage crispé, la silhouette qui bascule, vingt fois, cent fois. La cervelle gicle par le trou pariétal. Big bang. L'oeuvre débute.

Ce texte inédit a été écrit en 1996 et il a trouvé sa forme définitive en 2004. Très émouvant pour moi, il reflète la quintessence de nos innombrables discussions, souvent nocturnes, autour du thème inépuisable de la création littéraire. Gilbert n'était pas l'écrivain "instinctif" à l'écriture quasi automatique : c'était un cérébral, réfléchissant énormément à ce qu'il voulait créer et sa réflexuion était toujours de dimension cosmique...

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Oeuvre de Gilbert * "A"

1 Septembre 2009, 19:29pm

Publié par Flora

   [...] Fabrice Sorel avait quatorze ans quand sa mère succomba à un cancer du sein. La mort devint ennemie intime, rivale. L'immortalité l'obsédait. En 1967, au milieu de sa vingt et unième année, il se destine à la médecine, illusion romantique du combat pour la vie. Le 19 mai, le cliché agonise. Emile Littré insuffle l'idée que si les mots sont mortels, un agencement subtil leur permet de survivre, collés les uns aux autres. Jamais, dans les pages bleues, il n'envisage son immortalité, préférant insister sur a durée de son travail, les difficultés matérielles, les efforts incessants auxquels famille et collaborateurs doivent se plier. Il parle de le vie des mots. L'immortalité est pourtant l'unique idée qu'Adam Eve retienne et développe, lui ajoutant sa touche personnelle : il n'est pas nécessaire, pour franchir les siècles, d'être lisible.

        Tout le monde connaît Kant, Proust, Mallarmé. Qui les a lus ?

    Quand il aborde la naissance de sa vocation, qu'il nous provoque avec les samouraïs, les nains, Adam Eve se garde d'aller à l'essentiel, d'avouer que, ce jour-là prirent fin ses études de médecine. La mort des autres lui devenait indifférente. Sa vie tendait vers un seul but : dériver dans le temps d'une notoriété future.
   Au lieu de disserter sur son égotisme, il préfère s'attarder sur l'article "A", modèle et référence :

     Par quoi commence le dictionnaire ? Par une lettre : "a  (à), s. m. Voyelle et première lettre   de l'alphabet..."  
     La première ligne préfigure la dernière. A annonce Z. L'alpha et l'oméga, la fin dans le début. Tout se fissure, tout s'accumule. [...]

suite de la nouvelle "A"

 

   

 
    

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Oeuvre de Gilbert * "A" (inédit)

30 Juillet 2009, 15:26pm

Publié par Flora

                                                                                                   Ce livre tout entier n'est qu'une esquisse. Même pas !
                                                                                                    Rien que l'esquisse d'une esquisse
.
                                                                                                                       Herman Melville
,    Moby Dick

   A l'origine de l'oeuvre, une paresse du cou. Au lieu de tourner la tête vers la fenêtre, d'apercevoir la femme, l'épagneul de sa vie, Fabrice Sorel lève les yeux vers le Littré, un mouvement que les biographes, les universitaires de tous pays n'en finissent pas de commenter.
   Certains critiques évoquent une nuit de débauche, une digestion difficile. On parle d'une mouche ou d'un moustique posté sur le dictionnaire ; d'autres plaident pour un courant d'air ; un professeur de l'Ecole Normale supérieure centre son analyse sur le craquement d'une étagère, celle qui soutenait la collection complète du "Miroir des Sports" ; on glose sur le déterminisme et la coïncidence ; on se réfère à l'éducation : si la folie des mots s'empare de Fabrice Sorel, en ce 19 mai 1967on père enseigne la littérature à l'université d'Orléans, que sa mère, ophtalmologue, fait défiler des lettres sous le regard de ses patients.
   Qui croire ? Dans Les Mots : Mosaïque, le principal intéressé commente la scène à sa façon, humoristique, énigmatique :

          Les tomes du Littré sont au nombre de sept. Couleurs de l'arc-en-ciel. Nains. Notes sur la gamme. Péchés capitaux. Jours de la semaine Sept contre Thèbes. Samouraïs Mercenaires. Suis-je Blanche Neige ou Polynice, gourmandise ou luxure, do, mi, sol, indigo ?

    Les romans d'Adam Eve comportent sept chapitres, chaque recueil quatorze nouvelles.[...] 

début d'une nouvelle inédite 

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