quatre catégories menées parallèlement : extraits des oeuvres de Gilbert Millet, traductions d'auteurs hongrois, réflexions et mémoires, dessins
"Atterrissage"...
Juste quelques mots avant de retrouver un calme relatif, inhabituel
depuis plus d'un mois. Le puzzle évoqué dans mon précédent billet a été sensiblement secoué...
C'est toujours assez violent de retourner sur les lieux de mon enfance et de mon adolescence que j'ai quittés à l'âge de 26 ans. Mon décor s'effrite, ses figures ont
disparu ou sont sur le point de le faire, inexorablement comme la vie elle-même. La mienne aussi... Les repères anciens se dissimulent pour vous surprendre au détour d'une rue, au
parfum d'un acacia gorgé de l'été. La Tisza s'est amincie, ce n'est plus la rivière intimidante de mon enfance, pleine de dangers sournois. Il n'y a que la chaleur (39° à l'ombre) qui reste
fidèle pour écraser ma moitié française assimilée...
A chaque fois, l'envie surgit d'assumer cette confrontation seule. Tout élément ou toute personne me détournant de ce pélerinage solitaire rompent le lien que je tente de
renouer péniblement. Le voyage devient passage et manque son but. Comme quand on se rend sur la tombe d'un être cher : pour réaliser la communion en pensée, il est détestable de se
faire accompagner et de se distraire d'un bavardage intrus.
Sans doute, me sentirais-je davantage "chez moi" à présent ici, dans ce Nord chaleureux et accueillant, discret et exubérant à la fois où je me suis créé désormais un nouvel
équilibre, solitaire et entourée comme je le souhaite. Un mimétisme subtil est en train de s'opérer...
Vacances * Nyári szünet
Quand la presse française parle de marronniers, en Hongrie on récolte des concombres
(uborkaszezon)...
C'est ce qui semble régner dans la blogosphère où nombre de mes sites préférés semblent désertés pour des plages ensoleillées, des montagnes majestueuses ou d'autres
dépaysements !
A mon tour, je prends le large pour quelque temps,
afin de revenir rechargée d'émotions, de fatigue et d'un regard renouvelé.
Je vous souhaite, à tous, partis ou non, un bel été ensoleillé !
... et je me souhaite vous retrouver à la rentrée !
Axe vertical, verticalité
Parfois, je ressens un besoin impérieux de "me rassembler autour de mon axe vertical" selon l'image mentale créée dans ma tête. Ayant alors l'impression d'être un tableau en puzzle que l'on aurait secoué pour en éparpiller les pièces et que la tâche me reviendrait de les rassembler encore et encore, de les aimanter autour d'un point névralgique pour que cela représente de nouveau quelque chose d'intelligible... Quelque chose sur lequel j'aurais un regard, un semblant de contrôle.
Mon axe vertical... Je me suis souvent demandé pourquoi cette aspiration de toutes les spiritualités vers le haut, pourquoi lève-t-on les yeux vers le ciel, pourquoi cherche-t-on les représentations dépassant notre matérialité dans l'infini au-dessus de nos têtes ? Est-ce que nous voulons nous libérer de la gravité nous clouant au sol, est-ce que nous désirons inconsciemment nous échapper à l'enfouissement sous terre que représente la mort ? Le rêve d'Icare a été une irrépressible envie de quitter la pesanteur et de s'évader dans l'infini... Echapper à notre condition d'humain, avec ses dates butoirs entre naissance et mort, avec une existence, peu exaltante pour beaucoup, remplissant ce champ. D'où le geste de chercher l'évasion vers le haut, symbole de l'infini insondable que l'on peut, du coup, peupler de tous nos désirs et de nos fantasmes compensatoires !
Ce geste est devenu instinctif et de l'instinctif - symbolique. La lumière du jour vient du ciel et cette lumière se charge petit à petit d'espoir dissipant les ténèbres où tous les maux peuvent nous surprendre. Lumière bienfaisante, symbole du divin dont on espère la miséricorde. Symbole du savoir aussi, dissipant les ténèbres de l'ignorance...
Les mythes nous apprennent l'aspiration de l'humain vers les connaissances qui lui feraient quitter sa condition initiale. Mais ils nous apprennent aussi la prudence : les sanctions divines pleuvent sur la tête du téméraire qui tente l'aventure. Icare se brûle les ailes et chute, Adam regrettera sa curiosité jusqu'à la fin de ses jours... devenant mortel...
János Pilinszky * Trapèze et barres
Trapéz és korlát Trapèze et barres
Sötéten hátat forditasz, Tu te détournes de moi, l'air sombre ;
kisikló homlokodra Au front glissant que tes cheveux voilent
a csillagöves éjszakát J'essaie en vain de tresser dans l'ombre
kezem hiába fonja. La nuit avec ses rubans d'étoiles.
Nyakad köré ezüst pihék Les papillons d'argent des duvets
szelíd pilléi gyűlnek, Tremblent ensemble autour de ton cou ;
bizalmasan belém tapadsz, Contre le mien, ton corps s'est pressé ;
nevetsz, - vadúl megütlek! Tu ris. Je te frappe comme un fou.
Sugárzó párkányon futunk, Le long d'un parapet radieux,
elgáncsolom a lábad, Je te fais choir dans ta course agile ;
fölugrasz és szemembe kapsz, Et d'un sursaut tu griffes mes yeux,
sebezhetetlen állat! Tu m'as meurtri, ma bête indocile.
Elszűkül arcod, hátra buksz, Je vois s'enfuir ton étroit visage,
vadul zuhanni kezdesz, Tu te renverses, tu rebondis,
az éjszaka trapézain Volant plus haut, fuyant davantage
röpűlsz tovább, emelkedsz Sur les trapèzes d'or de la nuit.
a rebbenő való fölé! Au-dessus du réel qui oscille,
Kegyetlen, néma torna, Le cruel et muet exercice !
mégcsak nem is kiálthatok, Je réprime les cris inutiles
követlek szívdobogva, Et te suis, tremblant de ce supplice
merészen ellököm magam, Je m'élance alors et te saisis,
megkaplak és ledoblak, Hardiment, je te fais retomber ;
elterülünk hálóiban Nous glissons tous deux dans les filets
a rengő csillagoknak! Vacillants des astres de la nuit.
Most kényszerítlek, válaszolj, Maintenant, je te force à répondre.
mióta tart e hajsza? Depuis quand la poursuite insensée,
Megalvadt szememben az éj. Dans la nuit où mes yeux vont se fondre ?
Ki kezdte és akarta? Qui la veut et qui l'a commencée ?
Mi lesz velem, s mi lesz veled? Quel sera notre sort éternel ?
Vigasztalan szeretlek! Mon amour crie désespérément :
Ülünk az ég korlátain, Nous voici sur les barres du ciel
mint elitélt fegyencek. Deux forçats voués aux longs tourments.
(1943)
traduction : Anne-Marie de Backer