Esclavage moderne
Le repas du midi terminé, je m'installe sur mon canapé, devant une émission digestive, voire "siestive" afin que je puisse attaquer ensuite l'après-midi en forme pour le travail d'écriture.
Subitement, la télé s'éteint sans crier gare. Trou noir, silence. La neige du matin avait fondu, le froid s'était radouci, ce n'est pas un temps à panne d'électricité... De toute façon, il n'y a jamais de panne d'électricité! La lumière jaillit par magie et sans faute, à tout instant! Comme l'air que l'on respire.
Je cours à la boîte du compteur. Tout est normal.
On toque à la porte d'entrée (la sonnette ne marche plus?...), c'est la voisine, affolée: "Chez vous aussi?"... Elle a déjà fait le tour des autres voisins et le curé de la paroisse: pareil. Pas de courant.
Je prends le téléphone: muet. "Reposez l'appareil sur le socle" - qui ne répond pas sans jus.
Par chance, sur mon portable, il reste un peu de batterie que j'espère suffisante pour trouver des renseignements.
Renseignements? Tout est sur l'ordinateur, inaccessible. Je fouille à la recherche d'un vieil annuaire en papier; heureusement, je n'ai pas tout viré dans un grand élan de modernité!
Pendant que je cherche - et que les radiateurs commencent à refroidir - je survole tous les aspects de notre vie moderne: l'eau tarit à cause de la pompe électrique, les WC sont inutilisables; mon gâteau presque cuit attend dans le four; mon courrier somnole au fond de la mémoire de l'ordinateur, tout comme le texte que j'allais imprimer pour le présenter ce soir!... Bientôt, il faudra essayer de dénicher quelques restes de bougies de Noël... Cela ne m'inspire aucune poussée romantique!
Tout d'un coup, miracle! La télé se met à causer comme si de rien n'était, comme si on n'avait pas frôlé l'apocalypse! Je la ferme aussitôt. Il faut que je digère les leçons de ma totale dépendance...
illustration: Raoul Dufy: "La Fée Electricité", Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris