La mort d'Ágota Kristof (1935-2011)
Ágota Kristof vient de mourir ce matin. Qui ne connaît pas l'auteur du roman "Le grand cahier"? Il a paru en 1987, apportant à son auteur la renommée internationale. Les romans de Ágota Kristof sont traduits en une quarantaine de langues, elle a été lauréate d'innombrables prix littéraires prestigieux.
Notre revue "Hauteurs" lui a consacré un long et très intéressant article par l'écrivain hongrois András Petőcz, dans son N° 19 de mars 2006 sur la francophonie. Car Ágota Kristof est née en Hongrie et elle a quitté le pays en 1956, pendant les mois des bouleversements ayant suivi la révolte: une véritable hémorragie touchant surtout la jeunesse éprise de liberté.
Elle a traversé la frontière à pied, avec un bébé sur le bras et a atterri à Neuchâtel, en Suisse, devenue son pays d'adoption. Elle travaillait depuis longtemps dans une usine d'horlogerie lorsqu'elle a commencé à écrire: d'abord de la poésie en hongrois, puis "Le grand cahier", son roman fondamental, en français. Certains critiques ont relevé l'originalité du style: les phrases courtes et dépouillées, écrites exclusivement au présent. Cela prête une tension dramatique particulière au récit, alors que, probablement, Ágota Kristof voulait simplement contourner les multiples pièges du temps "passé" dans la langue française (que moi, je ressens aussi d'une cruelle façon: en hongrois, il n'y a qu'un "passé"...)
Après la Trilogie (Le grand cahier, La preuve et Le troisième mensonge) et Hier , elle publie L'Analphabète en 2004, pour formuler pour elle-même sa relation à la langue française: "Je parle le français depuis plus de trente ans, je l'écris depuis vingt ans, mais je ne le connais toujours pas. Je ne le parle pas sans faute, et je ne peux l'écrire qu'avec l'aide de dictionnaires fréquemment consultés. C'est pour cette raison que j'appelle la langue française une langue ennemie, elle aussi. Il y a encore une autre raison, et c'est la plus grave: cette langue est en train de tuer ma langue maternelle." Je peux comprendre profondément ses difficultés pour essayer d'apprivoiser cette grande séductrice qui vous attire dans son filet, sans avoir besoin de vous... La traiter d'ennemie, je refuse. Elle n'a rien demandé...
De nombreux échos, interview sur le blog remarquable de Jean-Pierre sur la Hongrie: http://mardishongrois.blogspot.com/