Le blog de Flora

Oeuvre de Gilbert * "A" (inédit)

30 Juillet 2009, 15:26pm

Publié par Flora

                                                                                                   Ce livre tout entier n'est qu'une esquisse. Même pas !
                                                                                                    Rien que l'esquisse d'une esquisse
.
                                                                                                                       Herman Melville
,    Moby Dick

   A l'origine de l'oeuvre, une paresse du cou. Au lieu de tourner la tête vers la fenêtre, d'apercevoir la femme, l'épagneul de sa vie, Fabrice Sorel lève les yeux vers le Littré, un mouvement que les biographes, les universitaires de tous pays n'en finissent pas de commenter.
   Certains critiques évoquent une nuit de débauche, une digestion difficile. On parle d'une mouche ou d'un moustique posté sur le dictionnaire ; d'autres plaident pour un courant d'air ; un professeur de l'Ecole Normale supérieure centre son analyse sur le craquement d'une étagère, celle qui soutenait la collection complète du "Miroir des Sports" ; on glose sur le déterminisme et la coïncidence ; on se réfère à l'éducation : si la folie des mots s'empare de Fabrice Sorel, en ce 19 mai 1967on père enseigne la littérature à l'université d'Orléans, que sa mère, ophtalmologue, fait défiler des lettres sous le regard de ses patients.
   Qui croire ? Dans Les Mots : Mosaïque, le principal intéressé commente la scène à sa façon, humoristique, énigmatique :

          Les tomes du Littré sont au nombre de sept. Couleurs de l'arc-en-ciel. Nains. Notes sur la gamme. Péchés capitaux. Jours de la semaine Sept contre Thèbes. Samouraïs Mercenaires. Suis-je Blanche Neige ou Polynice, gourmandise ou luxure, do, mi, sol, indigo ?

    Les romans d'Adam Eve comportent sept chapitres, chaque recueil quatorze nouvelles.[...] 

début d'une nouvelle inédite 

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Portrait de Virginia Woolf * sépia 1998

29 Juillet 2009, 16:54pm

Publié par Flora

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Bribes de mémoire 42. Vieille histoire, coq à l'âne

28 Juillet 2009, 19:39pm

Publié par Flora

   Plein été, période des vacances qui ralentit la vie en France et ouvre une sorte de parenthèse. De rares personnes échouent sur la blogosphère et encore plus rares sont ceux qui laissent un commentaire... Mais, puisqu'on écrit un blog avant tout pour soi-même, n'est-ce pas, disons-nous pour nous consoler ! Et merci à ceux qui s'y arrêtent!
   J'avais décidé, il y a bien longtemps que ces "Bribes de mémoire" sauteraient du coq à l'âne, feraient un pied de nez à la chronologie, m'offrant une liberté aussi complète que possible, pour préserver le plaisir des vagabondages. Cela représentait aussi un habile subterfuge pour dissimuler les trous dans ces oripeaux effilochés : en effet, je me rends compte tous les jours, à quel point ma mémoire devient sélective.  
   Cela permet également d'enjamber certains cadavres, de remettre quelques pelletées sur l'indicible... De dresser un panorama du passé non pas idéalisé mais vrai, avec une vérité dont certains aspects devaient passer dans ces trous... de la mémoire. Je ne suis pas pour l'exhibitionnisme, d'autant que ce passé n'appartient pas qu'à moi. J'ai encore en mémoire la première lecture des Confessions de Rousseau, par endroit m'ayant mise franchement mal à l'aise ! Non pas que j'aurais des secrets lourds à cacher, simplement la lecture rendue publique impose une certaine pudeur et j'ai horreur de ceux qui vous invitent à regarder par le trou de la serrure ! Raconter donc la stricte vérité mais se réserver le droit de trier parmi les souvenirs.
   Pour alléger ces propos et pour passer à tout autre chose (démonstration du coq à l'âne ?), une vieille histoire me revient en mémoire. Je vous dirais que je ne pense pas être une belle-mère possessive, envahissante et qui considérerait la femme de son fils comme une rivale. Ma mère ne m'en a jamais montré l'exemple, ni ma propre belle-mère n'en a donné le sentiment. Cette histoire m'aurait servi à jamais de mise en garde.
   Dans le petit village de mes vacances, il y avait un garçon, de quelques années plus âgé que moi. Selon mon habitude, je le regardais de loin, à la dérobée, pour qu'il ne puisse même pas soupçonner que je le trouvais beau comme un dieu... Une seule fois nous nous sommes rapprochés, dans un bal du village où il m'a invitée à danser et je défaillais de plaisir, sans même lever les yeux sur lui ! Fils unique, il vivait avec sa mère, veuve et qui plaçait tous ses espoirs en lui. Ce garçon était bon élève et on le poussait vers des études supérieures, à quelques 150 km plus loin. Pour la mère, cela semblait sacrifice insurmontable !  Elle s'est donc employée à tous les chantages pour le garder près d'elle. En dernier lieu : "Si tu pars, je saute dans le puits !" (il faut dire qu'à l'époque, c'était beaucoup plus facile, chaque maison étant équipée d'un puits à balancier...) Le garçon n'y a pas cru et il est parti. Aussitôt, la mère a mis sa menace à exécution... La fin de l'histoire ? Beaucoup plus tard, il a épousé son institutrice, de presque vingt ans son aînée et qui ne pouvait plus avoir d'enfant...
la suite suivra...

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Extrait du "Journal" de Miklós Radnóti

26 Juillet 2009, 21:22pm

Publié par Flora


[...] Je n'ai jamais renié ma "judaïté".  Je suis à ce jour "de confession juive" (j'en expliquerai plus tard la raison), mais je ne me sens pas juif, on ne m'a pas donné d'éducation religieuse, je n'en ressens pas le besoin, je ne la pratique pas, je considère comme une idiotie la race, le sang, les racines et la mélancolie ancestrale frémissant dans les nerfs, et non pas comme déterminant de ma "spiritualité", de mon "émotionnalité" et de ma "poésie". Même du point de vue sociologique, je considère les juifs comme une communauté artificielle. Ce sont mes expériences. Il est possible que ce soit faux mais je le ressens ainsi et je ne pourrais pas vivre dans le mensonge. Ma judaïté est mon "problème vital" car les circonstances l'ont voulu ainsi, comme les lois et le monde alentour. C'est un problème malgré moi. Autrement, je suis un poète hongrois, j'ai énuméré les membres de ma famille et je m'en fiche de ce qu'en pense le premier ministre de tous les temps. On peut me renier ou m'accepter, ma "nation" ne me lance pas, en me balayant de l'étagère des bibliothèques : fous le camp, sale juif; les paysages de mon pays s'ouvrent devant moi, les ronces ne m'agrippent pas plus qu'un autre, l'arbre ne se hausse pas sur la pointe des pieds pour que je ne puisse pas attraper ses fruits. S'il m'arrivait pareille expérience  -  je me tuerais car je ne peux vivre autrement, ni croire ou penser autrement.  Je le ressens ainsi à ce jour, en 1942, après trois mois de camp de travail et  quatorze jours de camp punitif [...], exclu de la vie littéraire où de minuscules écrivaillons qui ne m'arrivent pas à la cheville gigotent dans tous les sens; et moi, paré de mon diplôme d'enseignement tout frais et inutilisable, avec la même perspective pour les jours, les mois et les années à venir. Et si l'on me tue ? Cela n'y changera rien.
[...]

Extrait d'une lettre à Aladár Komlós, 17 mai 1942.  Le poète sera exterminé par des miliciens hongrois zélés qui accompagnent la marche forcée des prisonniers d'un camp de travail.

traduction : R.T.

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Oeuvre de Gilbert * Les cendres de Notre-Dame

24 Juillet 2009, 09:40am

Publié par Flora

         ...à ces vains ornements, je préfère la cendre. ( Racine, Esther )

   Il pleut. Pluie retenue, comme il convient dans cette ville, averse molle qui brouille la vue, nappe les pierres de brume, dissimule, ponce, estompe. Qui est de Laon déteste le tapage, la renommée, le mot plus haut qu'un autre, le détail qui distingue et pourrait, sans contrôle, attirer le badaud. Aucune pancarte sur l'autoroute. Quel touriste devinerait la cathédrale et les églises, les remparts et les portes, les manuscrits enluminés, les souterrains, les ruelles médiévales ? S'il existait un moyen d'araser la colline, d'empêcher qu'elle émerge au plus loin de la plaine, les Laonnois l'appliqueraient. A défaut, ils s'en remettent au climat : brouillard, bruine, ciels en deuil, nuages appliquent un masque humide sur les vestiges glorieux, gomment la grandeur passée, temps lointain où la cité était capitale du royaume carolingien. A Laon, on prie pour que la planète ne se réchauffe pas trop vite...
   Benoîte a refusé de m'accompagner : 
   - J'ai le vertige, tu le sais. Je reste dans la voiture.
   - Tu vas t'ennuyer, prendre froid.
   - Mon manteau et un bon livre, je ne risque rien. Et puis, tu n'en as pas pour deux heures...
   Le vertige est un bon prétexte mais je n'insiste pas. Benoîte, son livre, son manteau me font penser aux décors que le prince Potemkine dressait le long des routes, afin que Catherine II, traversant la Russie, voie un pays de rêve et jamais sa misère, trop intense, trop réelle. Notre misère de couple émane de Lionel. J'aurais pu le rencontrer à l'université ; nous avons fait nos études à Reims, une seule année nous séparait. Jamais, pourtant, je ne l'ai croisé. C'est un hasard tardif qui nous a réunis, un ami commun engagé dans une folle équipée : un triathlon, trois kilomètres de nage en rivière, cent kilomètres de vélo, assortis de deux cols et, pour finir, un marathon. Lionel et moi étions faits pour nous entendre ; Benoîte ironisa bientôt sur notre "coup de foudre", expression ridicule qu'elle ressert à souhait, par ironie facile et plaisir d'écorcher.

début de la nouvelle, publiée aux éditions Les Racines de Papier   2005  illustration : R.T. (détail de la cathédrale de Laon)

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Soumission * pastel très-très léger... (2009)

23 Juillet 2009, 11:45am

Publié par Flora

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Bribes de mémoire 41. Communisme et religion

22 Juillet 2009, 15:11pm

Publié par Flora

   Je reviens aux histoires anciennes après une pause relativement longue. "Tout est matière à, réflexions, à condition que l'on s'en donne la peine" ai-je dit il y a peu... Un ordinateur qui rend l'âme, effaçant d'un seul coup des années de votre histoire consignées, vous obligeant à un sevrage devenu petit à petit salutaire, vous ramenant à une autre réalité... Cependant, faut-il chercher, obstinément, un sens à tout ce qui nous arrive ; existe-t-il des événements complètement hasardeux, réconfortants ou déstabilisants dans leur gratuité, selon les convictions de chacun ? Chercher systématiquement un sens reviendrait à supposer  une planification, une orientation des événements par un principe supérieur et nous ne serions que de simples marionnettes dans ce jeu-là. Cela peut être réconfortant car nous n'avons pas à nous casser la tête, on prend soin de notre destin, comme dans un régime totalitaire que je connais bien. C'est décervelant mais confortable. Ce système de pensée a ses failles, le rôle du simple pantin étant peu ambitieux et encore moins enthousiasmant ; de plus, il faut expliquer l'origine du mal, si tentant parfois... On introduit donc le  fameux "libre arbitre", notion bancale qui rend l'édifice hybride et incohérent. Mais encore une fois, ce n'est que ma "cuisine philosophale", rustique et sans prétention.
   Dans la Hongrie communiste, l'Eglise est officiellement partenaire de l'état. Je suis baptisée, je fais ma communion et ma confirmation et je suis le catéchisme durant plusieurs années. Le curé, en soutane, vient à l'école pour distiller les fondements de la foi, les histoires de l'Ancien et du Nouveau Testaments, après les cours qui nous apprennent que la religion est l'opium du peuple ! Mais nous sommes, enfants, déjà rompus à la schizophrénie ambiante qui nous enseigne à jongler entre discours officiel et vérité sous-jacente !
   Ma famille paternelle est catholique, ma mère vient d'une famille protestante. On a du mal à imaginer les engagements exigés de ma mère concernant la future foi de ses enfants à naître dans la vraie voie catholique ! Ma grand-mère paternelle qui elle-même va rarement à l'église, m'oblige à suivre les messes du dimanche, avec communion chaque premier dimanche du mois. Les plus pénibles étant les confessions qui précèdent l'hostie collant immanquablement au palais et que l'on n'a pas le droit de toucher avec les dents, sous peine de mordre le corps du Christ lui-même !
   Le confessionnal... Je suis terrorisée rien qu'en passant près de son mystère ténébreux. Dedans, je m'agenouille devant le moucharabieh qui laisse deviner une oreille grasse collée contre la grille et qui attend avec ennui, avidité ou nonchalance mes maigres confessions que j'ai du mal à réunir depuis la veille...
la suite suivra...    

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Lörincz Szabó (1900-1957) * On dit qu'elle est très belle...

21 Juillet 2009, 19:23pm

Publié par Flora

ON DIT QU'ELLE EST TRES BELLE...

On dit qu'elle est très belle, et moi je ne dis rien,
On dit que ses cheveux de bronze chaud, c'est l'aube,
On dit que ses grands yeux sont des mondes d'étoiles,
Qu'elle est fière et jamais n'aurait même un regard
Pour un vilain garçon noiraud de mon espèce.
Pourtant elle sourit et tandis qu'on soupire
Vers sa lèvre moqueuse et son frêle menton,
On ignore qu'hier elle m'embrassait, moi.
Pendant qu'elle se tait, on ne peut savoir
Qu'elle voit la rosée qui est tombée la veille,
Et c'est sur nous, sur elle et moi, qu'elle est tombée.
Les merles, nous voyant étendus dans la joie,
Furent tous à leur tour entraînés dans l'ivresse,
Voletant près de nous dans les feuilles de mai.
Quelle chanson d'amour ils nous auront chantée !

                                                          traduction : László Gara

Mondják, hogy szép, és én semmit se mondok,
mondják, hogy égõ bronzhaja a hajnal,
hogy csillagokat hordoz éjszemében
s hogy büszke és dacos és rá se nézne
oly csúnya, fekete fiúra, mint én.
Õ csak kacag mind-erre, és irígyen
lesik ajkát és álla furcsa ívét
és nem tudják, hogy tegnap engem csókolt,
és hogyha hallgat, nem tudják, hogy õ most
arra gondol, hogy tegnap hullt a harmat
s r á n k hullt a harmat: õ reá meg én rám,
s hogy tegnap - látva boldog heverésünk -
még a rigók is mind megrészegültek
s közel röpülve a májusi lomb közt
eszeveszett szerelmi dalba kezdtek.

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Oeuvre de Gilbert * Un roman de Bacon illustré par Kafka

18 Juillet 2009, 10:28am

Publié par Flora

  Une toile le représente en 1999. Francis Bacon est assis sur une chaise de bureau, socle d'aluminium, siège noir, dossier jaune. Penché au-dessus d'une table sans pieds, directement fixée dans l'ocre jaune du mur, il écrit. Le dernier livre. Son corps est nu. Une ligne blanche, la colonne vertébrale, saille de son dos. La jambe repliée expose une musculature puissante. On a l'impression qu'elle va bientôt se détendre, comme la patte d'une sauterelle. La mort de la littérature s'inscrit dans cette chair athlétique qui, déjà, se dissout, s'évade en tache sur la moitié du dos, contamine son reflet. Est-ce pour se donner l'illusion de ne pas être seul que l'ultime écrivain se dédouble dans un miroir ?
   Sur le sol bleu, taché de mauve, traînent deux feuilles. Des lettres s'y promènent, disjointes. Il semblerait qu'en tombant de la table les mots se soient désarticulés. Pour les reconstituer, les aligner dans l'ordre, il faut connaître par coeur les phrases de Bacon : 
  
   Le sentiment du faux que j'ai en écrivant pourrait être rendu par l'image suivante : un homme, placé dans un grenier devant deux lucarnes, attend une apparition qui n'a le droit de se produire qu'à la lucarne de droite. Mais tandis que celle-ci, justement,  reste fermée par un verrou que l'on distingue vaguement, les apparitions surgissent l'une après l'autre à celle de gauche, s'efforcent d'attirer le regard et y parviennent finalement sans peine, en prenant une ampleur croissante, qui va, quelque résistance que l'on oppose, jusqu'à boucher l'ouverture véritable.*

  
C'est chez moi, dans l'abri souterrain que j'ai construit, à partir de 1998, que Franz Kafka a peint cette toile. La posture de Bacon, sa façon de tenir le stylo, la table fixée au mur, le miroir, rien de tout cela n'a été inventé. Même la déliquescence des chairs est réaliste. Ce qui ne l'est pas, en revanche, c'est l'épaisseur de la musculature. Bacon était chétif, pour ne pas dire malingre. On avait l'impression que l'haleine d'un moineau aurait suffi à le briser ou qu'il tenait à incarner un monde en train de disparaître, celui des hommes qui naissent d'une femme et d'un homme, qui n'ont pas reçu en héritage, au fond d'une éprouvette, la perfection des gènes.
   Parmi les quelques gratteurs de papier qui survivaient encore, pour la plupart fouilleurs de leurs propres poubelles, experts dans leurs divorce et leur constipation, leurs gorgées de bière et leurs amours bancales, j'ai élu Francis Bacon pour son physique ingrat. A cette époque, j'avais trois femmes, dont une légitime, un chat, quatre enfants, un perroquet, une mère mitée qui refusait de mourir, un château presque en ruine. Avec moi, cela faisait douze problèmes, douze travaux et je ne suis pas Hercule. Un mètre soixante-sept, cinquante-trois kilos, des biceps si minuscules que l'on voit l'os à travers. Au lieu de nettoyer mes écuries d'Augias, je m'enfermais dans une salle souterraine et je lisais : Matisse, Ingres, Poulenc... J'avais tapissé  mon refuge de reproductions de mes peintres préférés, Debussy ou Stendhal.[...]
  *extrait du "Journal" de Kafka
nouvelle publiée dans l'anthologie "Le dernier livre"  éditions Nestiveqnen  2002

 

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Trois ans, déjà...

7 Juillet 2009, 12:46pm

Publié par Flora

    Le 7 juillet est toujours une date à part... Impossible de ne pas revivre cette ultime nuit de veillée, après le verdict sans appel du médecin : "Votre mari est en train de partir. "  -  "Partir ?"  -  "Mourir, Madame".  Ce petit dialogue reste gravé pour toujours : ma question idiote qui ne peut, ne veut pas comprendre. Que le miracle tant de fois accompli n'aura pas lieu. Qu'il ne reste plus qu'à attendre, dans cette atmosphère devenue soudain glaciale. Que lui, ce lutteur héroïque depuis des années et même depuis ces quelques mois de condamnation définitive, a fini par baisser les bras, comme en s'excusant : je suis allé aussi loin que possible, je n'en peux plus...
    Amos, cher ami et frère véritable, tu ne liras peut-être pas ces mots. Tu nous as tenu compagnie, à nous deux, dès mon premier appel, laconique et désespéré, jusqu'au bout et même au-delà. Cette terrible attente en a été allégée et je t'en serai reconnaissante jusqu'à la fin de ma vie.
     La vie continue et la tristesse se mue en énergie à chaque fois que je pense à lui. J'ai retenu la leçon. Il ne faut pas gâcher les instants qui nous sont impartis : ils ne reviendront jamais. Il y a tant de choses passionnantes à faire pendant ce laps de temps si minuscule et la peau de chagrin diminue à une vitesse sidérale... Comment pourrait-on envisager un seul instant la béance menaçante de l'ennui ?
    Je n'ai pas besoin de "travailler" mon deuil, pas de pensum quotidien à accomplir, ni de solitude à combler. Avec ce testament-là, j'ai de quoi nourrir le restant de mes jours...

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