Le blog de Flora

János Pilinszky (1921-1981) : Question

29 Avril 2011, 09:33am

Publié par Flora

Num-riser0009  

QUESTION

 

Que nous sommes loin des arbres de l'Eden!

Ce fier oiseau de notre monde,

nous devenons dans son bec poussière.

 

La vague gèle, 

le battement, le clapotis s'arrête,

se fendent les évidences.

 

De n'importe où

une phrase peut-elle venir

de n'importe où?

traduction : Maurice Regnaut

 

KÉRDÉS

 

Hol járunk már az éden fáitól!

Világunk büszke madarának

csőrében porladunk.

 

Hullám befagy,

lüktetés, csobogás eláll,

meghasadnak az evidenciák.

 

Akárhonnan,

érkezhet mondat

akárhonnan?

 

(Szálkák, 1971-1972)

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Lundi de Pâques en Hongrie

28 Avril 2011, 12:20pm

Publié par Flora

images 

/Le lundi de Pâques, du moins dans mon enfance, était soigneusement préparé d'avance. Nous faisions cuire des dizaines d'oeufs dans une énorme marmite, en compagnie d'un gros jambon et des saucisses maison. Ensuite, la phase de la teinture des oeufs pouvait débuter. Les dessins étaient reportés à la cire sur la coquille, puis les oeufs plongés dans la teinture spéciale et multicolore. Parfois, nous vidions l'oeuf, avant d'entreprendre la décoration mais c'était une manoeuvre éminemment délicate à cause de la fragilité de la coquille... Avez-vous déjà essayé de vider un oeuf sans briser la coquille?...

husvet .locsolas stern de A quoi servaient ces oeufs? Ils étaient destinés aux garçons qui devaient passer dès le lever du soleil pour arroser les filles! Ils faisaient le tour du village et après avoir récité un court poème de circonstance, ils demandaient la permission d'arroser les filles. Plus nous recevions d'eau, meilleurs étaient les pronostics de bonne santé! Les filles négligées en éprouvaient une tristesse infinie...

   Les femmes plus mûres n'étaient pas oubliées non plus, même si elles passaient après. Je me souviens, mon père s'y prenait très tôt, sur le coup des 4-5 heures du matin, pour être sûr de me trouver encore au lit. Quel plaisir de soulever la couette et d'un geste rapide, d'envoyer une carafe d'eau en guise de réveil!

   Plus tard, les moeurs ont commencé à s'adoucir quelque peu. L'eau de Cologne a remplacé le seau d'eau, et à la fin de la matinée, nos cheveux et vêtements embaumaient d'un mélange indescriptible de senteurs fleuries...

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Les mots de autres : "Sukkwan Island" de David Vann

26 Avril 2011, 12:30pm

Publié par Flora

david-vann-sukkwan-island-M32115.jpg Je viens de terminer la lecture d'un roman qui m'a laissée en apnée. Il conviendra parfaitement à l'inauguration d'une nouvelle rubrique de ce blog qui s'efforce tout de même à un peu de cohérence dans l'éclectisme...

   Sukkwan Island de David Vann. Un titre évoquant le Grand Nord, le froid et la neige qui durent... A priori, tout ce qui me rebute! Je n'ai pas été déçue du choc tellurique...

   Editions Gallmeister. Petite maison spécialisée dans la littérature américaine des grands espaces, du souffle à pleins poumons, bien loin d'un nombrilisme auto-fictionnel ou des histoires à la légèreté et à la consistance d'une bulle de savon dont le souvenir même s'évapore au lendemain d'avoir fermé le livre.

   Prix Médicis Étranger 2010. Tiens, tiens: prometteur! Qui est donc ce David Vann? Il est né en 1966, en Alaska. C'est son premier roman. Je ne veux pas en savoir plus, avant de terminer le roman.

   Un extrait du début:

   ..." La suite devint trop compliquée à raconter. Quelque part, il y a eu un mélange de culpabilité, de divorce, d'argent, d'impôts, et tout est parti en vrille. 

   Tu crois que tout est parti en vrille quand tu t'es marié avec Maman?

   Son père le dévisagea d'un oeil qui prouva à Roy qu'il était allé trop loin. Non, c'est parti en vrille un peu avant, je crois. Mais difficile à dire quand."

Tête-à-tête entre un père et son fils de 13 ans dans une île sauvage et inaccessible au sud de l'Alaska. Le père a le projet d'y passer l'année en compagnie de son fils: retour à la nature, à l'authenticité, espoir de retrouver ce fils perdu de vue et surtout, de se retrouver soi-même. Un père dans l'errance et l'immaturité, déstabilisant pour l'adolescent qui, au lieu d'avoir un père-repère, doit servir d'appui à l'adulte inconscient du poids que cela représente. Dialogues, monologues se mêlent au récit de la vie dure, aux descriptions de la beauté sauvage et impitoyable de la nature, caisse de résonance de l'âme humaine... Tout cela crée un suspens sourd et insoutenable qui nous mène au drame inexorable, tel le destin qui avance pour boucler la boucle...

   David Vann dédie son roman à son père, James Vann, dentiste, père instable et immature qui s'est suicidé à 40 ans... Un autre élément à méditer pour tous les génies méconnus, en attente et en herbe: pendant dix ans, aucun éditeur ne voulait de ce roman avant qu'il n'entame sa marche triomphale et son auteur sa renommée du "romancier américain que l'on attendait"..

      

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Oeuvre de Gilbert * Miniatures

20 Avril 2011, 11:10am

Publié par Flora

flechette.jpg FLECHETTE

   Que ses parents l'enferment dans la cave, Maxime l'avait mal pris. Surtout qu'ils lui avaient confisqué ses fléchettes, et, avec elles, la joie de transpercer les araignées. 

   Privé de son jeu, il se vengeait sur les bouteilles, leur lançant des boulons trouvés dans une vieille boîte à outils. Dix points pour un bordeaux fracassé. Vingt points pour le champagne, cent s'il parvenait à briser le goulot seul, pour faire jaillir les bulles.

   Ses parents ne risquaient pas d'intervenir. Ils passaient leurs journées à l'hôpital, à veiller la petite soeur. Il n'y en avait que pour elle! On la montrait en exemple. Ce n'était pas la faute de Maxime si son grand-père avait oublié d'offrir une cible avec les fléchettes. Avait-il un autre choix que de peindre celle-ci sur le dos de Valérie?

 

    

 

   ECOLOGIE

   Un vert de terre sort de sa grotte, barbe et cheveux hirsutes. Le pull tricoté main flotte sur un corps décharné par les graines et le fromage de chèvre. 

   En contrebas, le tueur de planète, le dévoreur de couche d'ozone, le creuseur de tunnel, l'humain ne se doute de rien. Il fait la pause auprès de sa machine, pelleteuse vorace qui trouble le sommeil de l'ours des Pyrénées.

   Pour éponger son front, il retire le casque. Erreur fatale. La massue s'abat sur son crâne, avec un grognement préhistorique. L'ouvrier meurt. L'ours est indemne.

 

   SAVOIR-VIVRE

   Quand un lépreux vous a serré la main, comptez discrètement vos doigts sur vos orteils. Si vous dépassez cinq, c'est que l'un de ses doigts s'est détaché pendant la poignée de main. Rendez-le avec tact et sourire.

 

Gilbert Millet  "MINIATURES" , Editinter  1999  illustration R. T. 

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La tricoteuse (encre et pierre noire, illustration 2005)

18 Avril 2011, 10:11am

Publié par Flora

La-Tricoteuse.jpg

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Enfantement

17 Avril 2011, 16:57pm

Publié par Flora

Main.gif Devant son clavier, ramassé sur lui-même, il invoque l'intense concentration comme d'autres entrent en prière. Il en appelle au pouvoir mystérieux des mots pour qu'ils lui viennent en aide. Un besoin sourd et impérieux qu'il ressent dans tout son corps et qui demande à être mis au monde... Que va-t-il enfanter? Un monstre raté, éloigné de ses attentes sortira-t-il de ses entrailles? Ou alors, une créature avec toutes les promesses du sublime? Les femmes ressentent-elles la même douleur, la même envie de se débarrasser du poids oppressant, afin de regarder, de toucher enfin la vie qu'elles couvaient au plus profond d'elles-mêmes, pendant si longtemps?

   Dans un premier temps, il n'existe que le besoin. Sous quelle apparence va-t-il s'incarner? Les images se télescopent dans sa tête pour faire surgir le désir. Des sensations, des émotions profondes jaillissent comme des blessures douloureuses ou délicieuses: il a besoin de ces entailles pour faire sourdre du sang frais qui nourrira l'insatiable rapace, dans l'espoir que celui-ci lui prête une de ses plumes. Il trie parmi ces fulgurances. Il goûte les mots, si évocateurs. Lequel va enclencher la magie créatrice?

   Il a faim, il a soif, il a froid et chaud en même temps. La concentration le ligote, il ne peut pas bouger. Il a envie de se libérer, de plonger dans l'instant insouciant, de s'évader de cette force impitoyable et fragile à la fois. Cependant, il n'est pas dupe: c'est lui qui en a désormais un besoin vital. Il avance à tâtons, il se fraie un sentier étroit en cueillant les mots au passage, les triant, les goûtant, les humant.

   Qu'espère-t-il au bout de ce cheminement si éprouvant? Rien d'autre qu'un instant de plénitude, si éphémère.

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Sándor Kányádi (1929-): Avant-propos (Előhang)

14 Avril 2011, 10:33am

Publié par Flora

DownloadedFile-copie-1.jpeg Sándor Kányádi, poète hongrois de Roumanie, est né en Transylvanie, au pays des Sicules, partie intégrante de la Hongrie jusqu'au traité de Versailles, clôturant la première guerre mondiale. 
 
AVANT-PROPOS
 
il y a des contrées de superbes
paysages où l'amertume
en ma bouche devient douceur
il y a des contrées tout au fond
des mots germent dans leurs prés
edelweiss sur leurs cimes rocheuses
des mots s'accrochent des mots
le ruisseau parent de mon sang
en mon coeur murmure gazouille
l'hiver pour l'abriter je gèle
son crincrin sous ma cuirasse
les sons qui font tinter la glace
printemps étés mes automnes
ma descendence mes aïeux
il y a des contrées je les porte
comme la peau sur mon corps
même tourmentés de superbes
paysages où l'amertume
en ma bouche devient douceur
il y a des contrées tout au fond
traduction: Claire Anne Magnès 
 
ELŐHANG

vannak vidékek gyönyörű 
tájak ahol a keserű 
számban édessé ízesül 
vannak vidékek legbelül 
szavak sarjadnak rétjein 
gyopárként sziklás bércein 
szavak kapaszkodnak szavak 
véremmel rokon a patak 
szívemmel rokon a patak 
szívemben csörgedez csobog 
télen hogy védjem befagyok 
páncélom alatt cincogat 
jeget-pengető hangokat 
tavaszok nyarak őszeim 
maradékaim s őseim 
vannak vidékek viselem 
akár a bőrt a testemen 
meggyötörten is gyönyörű 
tájak ahol a keserű 
számban édessé ízesül 
vannak vidékek legbelül

1982

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A propos d'Odilon Redon

11 Avril 2011, 12:14pm

Publié par Flora

Redon-Bouddha.jpg Odilon et son araignée souriante... Ses têtes bleues émergeant d'un océan originel... Et surtout, la sensualité de ses pastels, capables de révéler des couleurs insoupçonnées! Je ne suis pas particulièrement attirée par le sujet des natures mortes, des fleurs ou des paysages. Depuis la première fois que j'ai vu un recueil de bouquets d'Odilon Redon, j'ai été définitivement découragée de toute tentative d'y toucher... Comment approcher une telle perfection dans l'originalité  -  ne parlons même pas d'espérer  l'égaler; comment songer alors à la dépasser?...

   Je constate, surprise, que beaucoup de gens ignorent tout de Redon ou le connaissent peu. Il réside sur mon Olympe personnel, en compagnie d'Egon Schiele, de Rembrandt, de Vermeer et de quelques autres, depuis de nombreuses années. Contemporain des impressionnistes mais toujours à part. En dehors des courants, élaborant son art, en suivant ses inspirations... Le Grand Palais lui offre sa première grande rétrospective depuis 1956. Je ne suis pas qualifiée pour trouver le tiroir dans lequel il convient de le ranger dans le classement des trés grands, des simplement grands et les remarquables de la peinture: je me contente de prendre mon plaisir et mon inspiration auprès de ses oeuvres, surtout les pastels et les lithographies. De plus, une découverte pour moi: la réédition par José Corti, de son journal d'entre 1867-1915 (un an avant sa mort), "A soi-même". Il m'attend pour que je le lise, le déguste pendant longtemps. Quel moyen extraordinaire de s'introduire dans le processus intime de la création! Je suis irrésistiblement attirée par le genre "journal", très différent de celui des "mémoires". Le premier est ancré dans le présent, pris sur le vif avec la fraîcheur, la spontanéité des impressions, des réflexions, dans le mouvement créatif même, tandis que le second constitue un regard en arrière, avec les souvenirs sélectionnés, "digérés" par la mémoire, embellis ou tus à l'occasion, selon les émotions qui s'y attachent...

La modernité toujours actuelle, l'essence même qui m'attire vers Redon se résume dans ces deux phrases tirées de son journal:

"Mes dessins inspirent et ne se définissent pas. Ils ne déterminent rien. Ils nous placent, ainsi que la musique, dans le monde ambigu de l'indéterminé."

"Tout se crée par la soumission docile à la venue de l'inconscient."

illustration: Odilon Redon, Le Bouddha, pastel, 90-73 cm 

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