Le blog de Flora

Une pile rouge

23 Avril 2023, 12:06pm

Publié par Flora bis

      Depuis samedi midi, une pile rouge attend sur ma table, une trentaine de bouquins de taille moyenne, plutôt minces. J'y jette un coup d'oeil rapide en passant, sans m'attarder, je les effleure au plus, sans les ouvrir. Une foule de sentiments contradictoires m'envahit. J'ai du mal à les canaliser, trier, décortiquer.

   Ce sont mes premiers livres. J'ai attendu leur livraison avec une certaine impatience. Cela semble toujours très long, peut-être pour estomper la fébrilité et prolonger le plaisir, apaisé, semblable à la naissance d'un enfant.

   Pendant longtemps, l'écriture ne faisait pas partie de mes quêtes, de mes douces obsessions. C'était le terrain de jeu naturel de Gilbert, un jeu de vie ou de mort, devenu peu à peu celui de la survie à une mort de plus en plus menaçante. Implacable, annoncée, certaine. Que l'on maintient à distance à l'aide des mots. J'ai été étroitement associée à ces sortilèges magiques et désespérés.

   Mes infinis questionnements ont débuté après sa mort, avec son urne et la petite boîte secrète contenant un peu de cendre quémandée pour moi, les deux si chaudes encore dans mes mains. Comment déchiffrer le grand mystère qui s'est joué sous mes yeux?... Les mots affluaient, comme un torrent libéré et commençaient à remplir des cahiers à spirale, des pages virtuelles des ordinateurs. Essentiellement en français, ma langue d'adoption. Gilbert s'ennuyait-il dans l'au-delà, coupé des mots, voulait-il prolonger l'acte d'écrire en me tenant la main?... Mon esprit cartésien résiste. Il m'a peut-être simplement autorisée à reprendre l'écriture que j'avais abandonnée à 17 ans, sous l'effet d'une phrase critique de mon professeur préféré. Cette pile rouge serait-elle enfin le symbole de ma légitimité dont la quête remonte, peut-être bien, encore plus loin?... 

 

Editions Le texte et la parole, 2023

 

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Bouquet multicolore

20 Avril 2023, 10:19am

Publié par Flora bis

   Comment traduire en français l'expression hongroise "százágra süt a nap"? Je connais bien sa signification : "le soleil brille" mais c'est succinct, il manque l'image mentale de la grande roue de feu, avec ses centaines de rayons qui fusent! Pas la petite boule pâlotte, entourée d'un halo indécis qui diffuse, au mieux, une tiédeur parcimonieuse, prompte à se cacher derrière les nuages. En regardant la terrasse de ce matin, l'expression refait surface des lointains de mon enfance, le plus souvent de la bouche de ma mère que le soleil dope généralement d'une énergie puissante et inépuisable qu'elle essaie d'insuffler vainement à la maisonnée, à l'exception de mon père qui n'a guère besoin de dopage.

   C'est de cette énergie dont j'avais envie depuis le début de la semaine pour recevoir des amies de longue date. En général, l'essentiel de mon énergie passe dans la cogitation autour du menu même si c'est la conversation que j'attends avec le plus grand intérêt. Cette fois-ci, apparemment, je me suis sortie honorablement des défis culinaires, à en juger aux réactions des convives.

   Lucienne et Yana, je les connaissais d'abord indirectement : c'est mon mari qui avait le contact régulier avec elles par son travail. Après son décès, ce contact est devenu plus personnel pour se transformer en amitié.

   Yana est d'origine bulgare, ce passé constitue un point commun entre nous, certaines de nos références sont semblables. Lucienne est romancière et notre revue avait accueilli quelques uns de ses textes courts. Nous nous sommes revues assez régulièrement, lors des salons du livre ou chez les unes et les autres, même si les années Covid ont provisoirement stoppé ces retrouvailles. Je suis son oeuvre attentivement. Elle-même a commenté mes premières publications avec des encouragements, ce qui a fait du bien à mon indécrottable pusillanimité. Elles font partie du bouquet multicolore et précieux de mes amitiés qui m'aident à vivre.

Bouquet multicolore

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Echappée belle * nouvelle microscopique

14 Avril 2023, 12:28pm

Publié par Flora bis

   "J'aimerais renaître demain, innocent comme il y a 55 ans. Juste 55 ans et 27 jours."

   Il le dit ainsi, prudemment, mesurant les conséquences désastreuses d'une telle franchise, d'un  tel abandon de contrôle. Comme c'est bizarre : depuis l'instant fatidique, il refoule le moindre désir, de peur d'attirer les punitions antiques de son enfance, des coups de règle sur les doigts ou des temps interminables à genoux sur des grains de maÏs...

   Elle l'a largué, quitté, abandonné... Elle lui a échappé, déserté sa place désignée par le destin, depuis toujours et pour l'éternité. Si elle le voyait, dans sa solitude de misère, se débattre avec le quotidien vulgaire où rien ne tourne comme il faut!... Où tout s'est arrêté, plus précisément. A force de ne pas y toucher, les objets et les problèmes s'amoncellent pour l'engloutir. Il s'y abandonne, se cadenasse, car les regards sont trop pesants. Même les miroirs sont brisés désormais. Sauf un, celui de la salle de bain. Il se le réserve pour l'ultime falaise. Le jardin au soleil, dans la brise venant de la mer qui ne cesse jamais de souffler.

   Il la voit, sur la balançoire, cheveux au vent, lui criant, triomphante: "Trop tard! Tu ne peux plus me tuer : je suis déjà morte..." 

Echappée belle   *   nouvelle microscopique

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Où sont passés les Pâques d'autrefois?...

7 Avril 2023, 12:05pm

Publié par Flora bis

   Dimanche et lundi de Pâques approchent. Pour moi, ce seront des jours ordinaires que je passerai probablement seule, les ami(e)s occupé(e)s avec leurs familles, mes enfants en voyage. Je suis contente pour eux, ils avaient grand besoin de se changer les idées. La solitude ne me chagrine pas : heureusement, en bientôt 17 ans, j'ai appris à occuper le temps agréablement en ma compagnie aussi.

   C'est bien loin, il est vrai, des effervescences d'autrefois, des préparatifs joyeux dans la maison de mon enfance, préalablement rafraîchie sous le soleil printanier, remplie des effluves du jambon et des saucisses maison qui cuisent doucement, en compagnie des oeufs, dans une énorme marmite qui ne sert qu'à cette occasion. Le défilé des "arroseurs" dont mon père tient à être le premier, à l'aube, versant une bonne rasade d'eau fraîche sous ma couette pour me tirer du sommeil... C'est pour la bonne cause : pour assurer ma bonne santé pour le reste de l'année! Les garçons qui sonneront à la porte jusqu'à midi, utiliseront de l'eau de Cologne de parfums divers dont le cocktail donnera un mélange lourd et inextricable... En échange, ils recevront un oeuf coloré et une pièce qui gonflera leur argent de poche. 

   Ici, en France, ce coutume n'existe pas. Cela fait bien longtemps que personne ne "m'arrose" plus et cela se ressent à ma petite santé... Là-bas, les parents reposent au cimetière. Je me rends compte avec stupeur que c'est à mon tour de prendre leur place, en première ligne du barrage contre la mort. Le soleil est présent mais ne réchauffe plus la maison de l'enfance, à part les rares moments d'été où nous y allons. A Pâques, les effluves alléchantes du jambon fumé et de la brioche vanillée me manquent... Irrémédiablement.

  

Où sont passés les Pâques d'autrefois?...Où sont passés les Pâques d'autrefois?...

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