Tout-venant
Les maniaques des blocs-notes, des agendas, des cahiers de toute taille me comprendront. Moi-même, j'en possède un certain nombre (offerts ou choisis), destinés à des tâches différentes: un petit dans le sac à main pour meubler des attentes imposées, épisodiques, dans les salles d'attente médicales, trajets en train ou en avion, pour laisser des traces des ambiances que je pourrais ressusciter plus tard, intactes; d'autres, plus grands, pour mes "journaux de bord", afin de consigner jour après jour, le temps qui s'enfuit.
J'en ai un troisième, sous le coude, à mon bureau, près de l'ordinateur: il s'appelle "Zap Book, 100% recycled", 320 pages sans lignes ni carreaux, reliées à spirale, couverture vert vif. J'étais contente de ma trouvaille, de son papier grisâtre recyclé, de son épaisseur qui me promettait quelques années d'usage. Sa destination est spéciale et indispensable: "cahier pour le tout-venant" l'ai-je baptisé presqu'aussitôt. Ce nom m'a réjouie: cela veut dire - Liberté! Je peux noter des choses comme elles viennent, comme elles passent dans ma vie, dans ma tête, sans prédestination, sans organisation, sans autre but que de les retrouver plus tard, au hasard, en musardant parmi les pages... Cette joyeuse anarchie sans contrainte permet de fixer les choses importantes au moment précis où elles passent car elle fixe surtout la couleur du moment.
Petit échantillon pèle-mêle, au fil des pages, en français ou en hongrois, dans un fouillis jouissif: quelques astuces de l'utilisation du vinaigre blanc ou de la coquille d'oeuf concassée; esquisse d'un projet de roman; citations sur le désir; la recette de la Génoise et celle de la fameuse soupe aux carottes et au gingembre d'Evelyne; de la correspondance de Kafka et de Milena; étude du style de L. Slimani et de la peinture d'Alechinsky; compte des points d'une partie de Whist familiale; archétypes de Mères; citations sur le silence... Etc... etc...