Zsigmond Móricz : Le roman de ma vie (extrait)
[...]Tous les parents, comme moi-même, qui comptent sur les enfants pour qu'ils reprennent là où eux ont décroché, seront déçus de la façon la plus éclatante.
Pour cette raison, encore jeune père, j'ai opté pour un accord intermédiaire avec moi-même. Je me suis dit : l'enfant règle son solde chaque jour. Le parent tient la comptabilité de son enfant : d'un côté, il note les dépenses, les frais alloués ; de l'autre, il impute ses attentes en retour. Mon conseil - et je m'y tiens autant que c'est humainement possible : le parent doit clôturer les comptes tous les jours, en notant pour solde : il a un enfant. Cette joie doit l'indemniser pour tout.
Pour mon père, la famille était source de telle jubilation qu'on n'aurait pu obtenir ni avec du travail, ni au prix de sacrifices, ni même avec de l'argent. Et je peux affirmer la même chose me concernant. Rien, ni personne ne peut me procurer ce sentiment d'apaisement qui m'enveloppe dans la chaleur familiale. Il est vrai que cette chaleur ne dure pas, qu'il faut songer aux frimas de l'hiver.
L'enfant ne doit pas compter éternellement sur ses parents non plus : l'hirondelle n'entretient ses petits que jusqu'au moment où ils déploient leurs ailes. Après, elle cesse de leur apporter à manger. Mon père m'a dit une fois, sans doute pendant une longue marche :
- Vous avez le sang pur, vous devez vous en contenter. Vous n'avez pas à avoir honte de votre père, je n'ai jamais été en prison. Je vous ai élevés sans jamais vous abandonner, ne me donnez rien, je crèverai, donnez à vos enfants ce que vous me devez.
Je ne connais pas plus grande sagesse. [...]
traduction : R. T.