Le blog de Flora

memoires

bribes de mémoire 74. Le désert algérien

3 Octobre 2010, 11:34am

Publié par Flora

Une envie irrépressible nous attire vers le désert, fantasme puissant pour les Européens que nous sommes. Ainsi, à la première occasion de quelques jours de vacances, nous descendons vers les oasis dont Touggourt inaugure l'aventure. Dès les premières dunes, le monde change autour de nous. L'agitation, les klaxons et les cris incessants de la ville sont remplacés par le silence paresseux, secret et feutré du Sahara. tevegélek...Autant Constantine ressemble à une fourmilière, ici, l'humain devient rare. Dromadaires presque plus nombreux au kilomètre carré! J'en profite, d'ailleurs, pour en "chevaucher" un : la "montée" est aussi vertigineuse que la "descente" mais nous redevenons des enfants, enivrés d'un terrain de jeu jusque là inconnu! Les dunes magnifiques d'une ocre claire longeant la route de Touggourt à El Oued nous incitent à nous rouler dans le sable tiède extraordinairement fin et à pousser des cris dans ce silence assourdissant! Un "bac à sable" gigantesque qui se déplace et qui change sans cesse de forme, au gré du vent et de la lumière! Je commence à comprendre l'attirance irrépressible de certains penseurs vers le désert : je n'ai jamais "entendu" un tel silence... Il exclut soudain la vaine agitation du monde et vous renvoie face à vous-mêmes, aux questions essentielles et dénudées de l'existence. Mes élèves me disent souvent : "Mais Madame, pourquoi allez-vous au Sahara? Il n'y a rien à voir!" Pour eux, la grande ville est un aimant. A chacun son mirage...

   Les palmeraies parfois minuscules se signalent de loin par la petite touffe de verdure, seules les cimes dépassant du sable, creusé à plusieurs mètres de profondeur à la recherche de l'eau. La nuit, il faut remonter inlassablement, à dos d'homme, les infimes  particules apportées par les vents pour empêcher l'ensablement des précieux dattiers. Si quelqu'un a lu le roman d'Abe Kobo "La femme des sables", a une idée de cette tâche de Sisyphe...

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Bribes de mémoire 73. S'acclimater à Constantine

21 Septembre 2010, 20:39pm

Publié par Flora

Ghardaïa 1Les périples pour nous loger durent quatre mois... Dans le secteur privé, impossible de trouver une location. Finalement, grâce à l'intervention du consul de France, on nous attribue un F3 flambant neuf, dans un quartier excentré, encore en construction : pas de route ni trottoir parmi les immeubles jaillissant de la colline boueuse, de l'argile rouge bien collante, bien glissante en ce mois de novembre pluvieux et froid. Nous sommes tout de même à 700 m d'altitude! Notre déménagement est livré et nous sommes remplis d'espoir qu'un jour, l'électricité sera branchée dans notre petit foyer, éclairé pour le moment à la bougie. Au bout de trois jours, l'inquiétude nous gagne : nous apprenons que l'appartement au quatrième étage ne sera jamais alimenté en gaz et en eau, la pression étant insuffisante pour monter jusqu'en haut! Nous devons chercher de l'eau, avec une énorme bassine portée à deux, en patinant dans la boue, au robinet orphelin en plein milieu du chantier... Mon angine carabinée a raison de notre résistance héroïque : nous nous réfugions de nouveau au centre d'accueil de la MGEN qui mérite bien son nom! Chauffés et éclairés, voire lavés : le nirvana!

   Gilbert menace de rester en France à l'issue des vacances de Noël et le directeur de son école prend enfin les choses en main, en dénichant un coopérant tunisien  qui veut justement s'installer dans le quartier en construction pour retrouver ses copains. Il est prêt à échanger son appartement à la Cité des Terrasses, agréable, ensoleillé, plus près du centre. Inutile de dire que nous sautons sur l'occasion et le cauchemar prend fin.

   Je trouve même du travail : un poste de professeur de russe au lycée Youghourta, établissement réputé pour garçons. Mes élèves ont entre 16 et 20 ans. Ils ne comprennent pas très bien l'utilité d'apprendre la langue russe. Ils ne l'ont pas choisie : la classe est divisée en deux par ordre alphabétique ; de A à L, on fait du russe, l'autre moitié prend l'anglais ou l'allemand. Boumediene se tourne vers la coopération avec les pays d'inspiration communiste et j'ai des collègues russes (qui enseignent cependant physique, chimie et maths), syriens, égyptiens et irakiens  -  et même un Belge, pour enseigner l'allemand. On trouve de nombreux médecins, ingénieurs roumains, bulgares, hongrois, est-allemands mais les Français restent majoritaires.

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Bribes de mémoire 72. S'expatrier en Algérie

10 Septembre 2010, 17:50pm

Publié par Flora

photo0001.jpgLe déménagement de mes affaires de Hongrie mérite un petit détour en quelques mots. A première vue, cela paraît simple : au début de ma vie professionnelle, je n'en possédais pas des montagnes. Des vêtements et surtout des livres dont je n'imaginais pas me séparer. Il a fallu une autorisation spéciale de la Bibliothèque Nationale sur présentation desdits livres et non seulement de leur liste! Donc, tout charrier à Budapest, aller et retour! L'emballage de toutes mes affaires, vêtements et livres, a du s'effectuer à notre domicile, par des mains propres (gantées!) de deux douaniers qui ont pu apposer ainsi un sceau inviolable sur les malles.

   Elles sont arrivées en France pour être ajoutées à celles de Gilbert, augmentées de quelques meubles de famille prêtés pour notre future vie nord-africaine. Le mois d'août s'est passé en d'innombrables formalités à régler. Au moment où Gilbert prenait l'avion pour Alger, une crise d'appendicite m'a clouée sur un lit d'hôpital à Laon et ainsi, je ne l'ai rejoint qu'avec une semaine de retard et quelques points de suture de plus...

   Débarquée à l'aéroport de Constantine, j'ai été plongée aussitôt dans une multitude de sensations nouvelles et inattendues : les bruits, la lumière, les parfums et le paysage, les essaims d'enfants courant en liberté parmi les voitures et ce ciel si haut, si profond et si lumineux! Je me souviens de l'émotion encore si vivante d'un léger étourdissement, causé à la fois par ma récente hospitalisation, la chaleur africaine et surtout, les retrouvailles avec Gilbert que j'avais quitté pour la première fois... Nous étions, tous les deux, dans une bulle, sur notre nuage privé!

  J'ai trouvé mon mari tout neuf au bord de la déprime : dans un Constantine surpeuplé, trouver un logement était quasi insurmontable! Nous avons échoué dans un centre d'accueil de la MGEN, un appartement où, par chance, on a pu nous attribuer une chambre avec un grand lit, tandis que 4 autres enseignants français célibataires étaient regroupés dans le salon. Un pèlerinage hebdomadaire débutait alors aux bureaux de la C.I.A. (sic!)  -  Compagnie Immobilière Algérienne  -  dans l'espoir de nous voir accorder un logement, nécessité d'autant plus urgente que notre déménagement ne tardait pas à arriver. Les employés impassibles derrière leurs guichets ne nous donnaient jamais de réponse définitive mais invariablement la même : "Revenez dans une semaine!"

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Bribes de mémoire 71. Le hasard devient destin

29 Août 2010, 21:18pm

Publié par Flora

Ghardaia-1.jpgDans la chronologie volontairement désordonnée de mes souvenirs, je viens de relire nos lettres hebdomadaires d'Algérie. Nouvelle plongée angoissante dans les profondeurs de la mémoire. D'où vient l'angoisse ? Peut-être bien du syndrome de la peau de chagrin : plus loin on remonte dans le passé, plus on acquiert la certitude que devant, le chemin raccourcit...

   Le jeune couple que nous sommes  -  mariés depuis un an  -  apprend tout juste à vivre ensemble. Dans ce lycée paisible de la province hongroise, j'achève ma troisième année de professorat de russe et de français, tandis que Gilbert termine son contrat d'assistant dans des classes expérimentales, à 12 heures (!) de français hebdomadaires. Un télégramme nous apprend sa nomination à Constantine, en Algérie. Rien que le nom charrie son parfum d'exotisme! Je n'avais jamais mis les pieds en Afrique. L'Ouzbekistan a été le point le plus lointain que j'ai exploré. Je m'apprête donc à suivre mon mari tout neuf dans l'inconnu total, sans savoir si j'aurai la possibilité de travailler. On verra bien, dis-je avec ma belle confiance  -  ou  inconscience?  -  coutumière. Quoi qu'il en soit, tout s'était décidé au moment où nous avons choisi de nous marier, un an plus tôt.

   Nous ne devions jamais nous rencontrer. Le hasard que d'aucuns appellent le destin, a modifié la succession de toute une série d'événements pour que cette rencontre ait lieu et n'avions plus qu'à nous incliner devant son entêtement...

   Un an plus tôt, Gilbert venait d'être nommé à Toronto, au Canada, son vieux rêve. Au dernier moment, le poste est annulé et on lui propose la Hongrie, dans une université très éloignée de ma ville. Ce poste est suspendu à son tour et remplacé par le lectorat dans mon lycée. Vous suivez le fil obstiné des Parques?

   Quant à moi, je venais d'obtenir une bourse très convoitée d'une année à l'université de Grenoble. Je ne connaissais même pas l'existence de cette bourse, attribuée à deux personnes par an. Je me demande encore, par quel miracle elle est tombée sur moi! Dépourvue de tout piston, je ne possédais même pas la carte du parti... Bien que professeur de français, je n'ai encore jamais été en France. Dans la Hongrie des années soixante-dix, on voyageait à compte-gouttes...

   Je m'apprête à remplir la liasse de formulaires demandée par Grenoble, afin de concocter un projet d'études détaillé pour l'année à venir. Je m'adresse donc à Gilbert, fraîchement arrivé, pour qu'il m'aide à remplir la paperasse. La suite était écrite : trois mois mois plus tard, je renonce à partir, renvoyant le passeport si difficile à obtenir, et deux autres mois plus tard, nous nous marions.

   Nous passons l'année suivante (mon ex-grenobloise!) dans la petite ville provinciale qui devait déjà sembler exotique à Gilbert, avec une langue hongroise difficile à apprivoiser, rebelle aux règles et aux habitudes. Au début des vacances, dans un grand déchirement familial, nous prenons la route vers l'inconnu.

 

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Bribes de mémoire 70. Vieilles figures de mon enfance

13 Août 2010, 18:12pm

Publié par Flora

   Eternelle obsession du temps qui passe, inexorablement, emportant tout à son passage, exceptées les quelques estampes pâlissantes de nos souvenirs, eux-mêmes condamnés à disparaître avec nous... Tentatives illusoires de les retenir, de les ressusciter, dans le but de se forger le socle bancal sur lequel appuyer un présent tout aussi aléatoire. Néanmoins, essayons de jouer avec eux comme le chaton joue avec son ombre...Eszti néni

   Quelques silhouettes de vieilles femmes en noir, la tête cachée par un foulard noué sous le menton, émergent. Figurantes quotidiennes de mon enfance. Voisines de gauche, de droite, d'en face, de notre rue couverte de poussière chaude en été, de boue noirâtre et grasse, collante ou tranchante selon la saison.

   Je ne les ai jamais vues tête nue. Celle de gauche était veuve, sèche, solitaire, aigrie. Elle est passée chez nous, un soir de Noël, telle la fée Maléfice. J'étais tout à mon bonheur de découvrir mon cadeau sous le sapin, un napperon à broder, avec son aiguille et ses fils multicolores. Je me suis aussitôt mise à l'ouvrage. Une tape énergique sur ma main et un tonnerre de réprimandes m'ont stoppée : "N'as-tu pas honte de toucher à une aiguille un soir de Noël, au risque de piquer le corps même de notre seigneur Jésus?" Je me suis figée, mortifiée. Ma mère a eu beau voler à mon secours, chassant la méchante sorcière, mon bonheur était brisé...

   Celle de droite, ronde, grand sourire édenté dont émergeait une seule dent du bas, à la manière d'un poteau solitaire résistant dans un paysage aride, était toujours prête à ouvrir  sa porte et ses bras. Elle nous berçait d'histoires envoûtantes de sorcellerie, de médecine magique pour soigner ses jambes douloureuses qu'elle couvrait, devant nos yeux ébahis, de sangsues tirées d'un grand bocal à confiture...

   Celle d'en face avait une voix si haut perchée qu'il suffisait qu'elle entonne dans la porte : "Feriiii-keeee !", et son petit-fils ainsi convoqué à table accourait de l'autre bout du quartier. Elle avait le sourire facile, inondant son visage rond, mais aussi la colère dévastatrice, devant laquelle tous les enfants de la rue filaient doux. Un jour  -  je devais avoir six ans  -  dans une bagarre entre enfants, j'ai asséné un coup de canne sur la tête de son petit-fils, un peu douillet, à peu de choses près du même âge que moi. Aussitôt, je me suis réfugiée à la maison, devant les hurlements du gamin. La tempête n'a pas tardé à s'abattre : la grand-mère secouait notre porte verrouillée à la hâte, vociférant d'antiques malédictions à mon adresse, souhaitant que mon bras tombe, desséché... Il a fallu que ma mère arrive pour retourner les malédictions avec la formule appropriée : "que de sa bouche, les maléfices retombent sur son sein..."

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Bribes de mémoire 69. Cimetières d'Istanbul et d'ailleurs

28 Juin 2010, 12:55pm

Publié par Flora

Cimeti-re-d-Ey-p.jpgCela fait un bon moment que je caresse l'idée d'évoquer les cimetières turcs. C'est même à Istanbul que j'ai eu la pensée intime de cesser le vagabondage et de m'installer définitivement quelque part  -  ce définitif me semblait longtemps effrayant  -  si je trouve le cimetière où j'aurais envie d'être enterrée. Définitif pour définitif...

   En Hongrie, les cimetières de ma connaissance, à la campagne, n'ont pas l'hostilité de ceux que j'ai rencontrés en France, bétonnés, barricadés derrière des murs hauts. Dans mon enfance, même les dalles étaient rares (et chères), les monticules de terre se couvraient de fleurs, demandant des soins permanents. En Allemagne, j'ai aperçu les "Friedhof" (lieu de paix) protestants où les sépultures se dissimulent dans la pelouse, sans croix dressées, ni de marbres rutilants, reflets de ces vanités terrestres que nous sommes pourtant censés abandonner ici-bas...

   Une promenade au Père Lachaise m'a, pour la première fois, pacifiée avec ces lieux de chagrin. Souvenir d'un jour de printemps doux et lumineux, avec Gilbert. Nous avions la bouleversante impression de rendre visite à des figures abstraites admirées de loin et qui, par cette visite, retrouvaient une réalité familière. Je suis allée chez Modigliani, Molière, Chopin... du moins, en avais-je le sentiment.

   A Istanbul, j'ai beaucoup fréquenté les vieux cimetières, avec mon trousseau à dessins et ma pliante. Accolés aux mosquées, autour des mausolées ou sur les hauteurs de la Corne d'Or comme celui d'Eyüp, mon préféré, j'aimais leur silence, leur accueil discret et bienveillant. Les vieilles pierres tombales titubent sous le poids des siècles, coiffées de fleurs pour les femmes et d'un turban pour les hommes, longtemps signées de l'écriture arabe, tel un ornement. Les dalles  -  quand elles existent  -  laissent une petite ouverture à la terre en leur milieu, permettant à l'âme du défunt de s'échapper pour une petite promenade et pour cueillir les eaux du ciel... Les familles reviennent pour un pique-nique dominical, s'installant sur la tombe dans la joie de partager un événement familial : pas de raison d'en exclure le disparu !

   En matière de lieu de sépulture, ma préférence allait vers une tombe esseulée en plein milieu d'un des carrefours les plus fréquentés d'Istanbul : la mégapole envahissante contournait la pierre dressée comme un point d'exclamation discret mais affirmatif, parmi les autobus fumants et vrombissants, les camions chargés de pastèques et les taxis bruyants. Je me suis dit, frappée de l'évidence : c'est cela que je voudrais pour moi ! Rester au milieu et dans la vraie vie, même au-delà de la mort !

illustration : R.T. lavis d'encre 1989

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Bribes de mémoire 68. Serviabilité turque

6 Juin 2010, 17:35pm

Publié par Flora

Nemrut à 3Je ne peux pas évoquer mes souvenirs de Turquie sans parler de l'extraordinaire serviabilité des Turcs. Au début, forts de nos réactions forgées dans des pays où tout se paie, où toute assistance est sous garantie et on en a pour son argent, ici, on se dit : que se cache-t-il derrière la gentillesse apparemment gratuite? Avec quelle arrière-pensée me rend-on ce service qui dépasse l'entendement? Tirez-en les conclusions après ces quelques exemples parmi tant d'autres.

   Tomber en panne sur une route de montagne n'est pas drôle. Surtout, sous une pluie battante... Au bout de quelques minutes, le temps de nous rendre compte du caractère désespérant de la situation, une voiture s'arrête et le conducteur mouille sa chemise pour examiner ce qui se cache sous notre capot. Je ne saurais vous expliquer la panne mais lui, sans hésiter, détache la ceinture de son pantalon et bricole la pièce défaillante avec la ceinture taillée à l'aide de son couteau. Il nous dit que ça tiendra bien jusqu'au prochain garage et propose même de le suivre au cas où...

   Nous arpentons dans la neige les flancs du mont Nemrut que j'ai décrit dans mon précédent billet. Plus de 2000 m d'altitude quand-même! Nous voulons voir de près les statues géantes décapitées. Au départ de la grimpette, une modeste cabane avec quelques souvenirs et tapis bariolés pour touristes. Nous saluons le gardien des lieux en précisant que nous boirions bien un thé à notre retour.

   Nous passons un certain temps au sommet pour souffler, pour prendre les photos souvenirs et pour nous émerveiller du spectacle époustouflant. Qui voyons-nous arriver, s'escrimant à équilibrer son plateau avec les six verres de thé fumant, sur le sentier glissant? Notre gardien qui nous livre le thé au sommet, en toute simplicité! Pour le même prix...

    

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Bribes de mémoire 67. Parcourir la Turquie

29 Mai 2010, 10:05am

Publié par Flora

Sumela.jpgSuméla... Monastère en ruines, sculpté dans la falaise, roche verticale au bord de la mer Noire...

   Nos voyages à travers la Turquie ! Des centaines et des milliers de kilomètres. Nous avons écumé cette Asie Mineure tant convoitée durant des millénaires. Couches superposées de civilisations successives, vagues déferlantes de conquérants chassant les précédents et anéanties par les suivants... Tremper ses pieds dans le Tigre et l'Euphrate, ça vous ramène dans les temps prébibliques !

   Civilisations lointaines et mystérieuses, difficiles à déchiffrer dans les stèles rongées par le temps, comme les Hittites du 14-13 siècles avant JC. Les Lydiens et leurs sarcophages sur pied ou les tombes creusées  dans la falaise friable surplombant Amasya (dont le nom me restera à jamais associé à notre modeste "Konfor Palas" comme son nom ne l'indique pas, avec ses draps déchirés mais propres et ses toilettes communes inapprochables...), Ani, l'ancienne capitale du royaume d'Arménie qu'un tremblement de terre a littéralement rasée. Le mont Ararat dont nous suivons les flancs enneigés, sans pouvoir découvrir l'arche de Noé...François au Nemrut FrançoisLes ruines d'Ishak paşa, somptueuse résidence en ruines du gouverneur  du sultan au 17e siècle, à quelques kilomètres de la frontière iranienne, près de Doĝubayazıt, sur la route de la soie... Le lac de Van, avec, en son milieu, la petite île d'Akdamar qui abrite les vestiges d'une église arménienne du 10e siècle... La volupté de l'air printanier et les amandiers en fleurs au milieu du lac bleu, entouré de sommets enneigés... Non loin, le mont Nemrut (Nemrut daĝı), plus de 2000 métres, avec un tumulus de 50 m qu'Antiochus I s'est offert veillé par des sculptures géantes de plus de 10 mètres, décapitées par un tremblement de terre... La Cappadoce et la côte égéenne, la Méditerranée avec leurs sites somptueux et leurs souvenirs inoubliables, auxquels l'accueil des habitants, partout, prête son âme...

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Bribes de mémoire 66. Mon "bakkal", mon "kasap", mon "baklavaci"

18 Mai 2010, 18:12pm

Publié par Flora

grand-bazar-1.jpgJ'ai toujours été étonnée par l'usage abondant des pronoms possessifs par les Français : mon boucher, mon coiffeur, mon député, jusqu'à l'infini... En hongrois, j'ai été habituée à la simple désignation, sans m'approprier les choses et les personnes. L'esprit collectiviste qui m'a nourrie aurait-il déteint sur la langue ? On pourrait imaginer le contraire : les dépossédés résistent en s'appropriant les choses par la grammaire... En réalité, je pense que ces phénomènes sont beaucoup plus profonds et plus anciens.

   Toujours est-il qu'à Istanbul, ces possessifs me semblent très pertinents et j'apprends à en user et abuser...  Mon bakkal (épicier), mon kasap (boucher), mon çiçekçi (fleuriste  -  pron. "tchitchektchi"), voire mon baklavacı (marchand de baklava), la liste est sans fin. Il faut avouer que la corvée des courses quotidiennes crée des liens auxquels l'accueil chaleureux de la plupart des commerçants donne des contours d'authentique sympathie.

   Le bakkal est une véritable institution. Je finis par me dire qu'ils ne dorment jamais, car à toutes les heures, y compris vers minuit, on en trouve d'ouverts. Un jour, les autorités ont voulu instaurer la fermeture du dimanche et des jours de fêtes. Eh bien, mon bakkal attend, malheureux, derrière son rideau de fer et me fait signe par un judas qu'il me servira en cachette... De toutes les tailles, dans ces cavernes d'Ali baba on trouve le nécessaire pour la vie quotidienne. La farine, le sucre en vrac, dans de grands sacs de jute, avec un chat somnolant paisiblement dessus. Les ménagères, pour s'économiser les étages sans ascenseur, font descendre un petit panier au bout d'une corde, par la fenêtre, avec, au fond, la liste des courses, accompagné d'un cri perçant : "Bakkaaaal!" Comme il y a une boutique tous les 20-50 mètres, les provisions ne tardent pas à remonter, avec la facture, tandis que l'argent refait le chemin inverse. J'ai vu voyager ainsi au bout de la corde, des chaussures à cirer à l'intention du cireur installé au pied de l'immeuble, des parapluies ou des casseroles à retaper pour des réparateurs ambulants.

   Mon kasap, outre le fait qu'il vend une excellente viande (qu'il pèse avec l'os et les déchets à enlever par la suite), pour me faire patienter, il m'offre non seulement le thé habituel mais aussi un sandwich à l'occasion et une fois, il a même proposé de partager son güveç (ragoût cuit en pot de terre)!

   Que dire des çiçekçi épris de la beauté de leurs bouquets qui n'hésitent pas à vous en offrir un, en plus de votre achat! Des gestes de ce genre m'enchantent et rendent la vie quotidienne à Istanbul plus que vivable, humainement chaleureuse...

 

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Bribes de mémoire 65. A l'apprentissage de la langue turque

8 Mai 2010, 17:51pm

Publié par Flora

Grand Bazar 2Une des premières choses que j'apprends en turc, c'est compter. Notre vie quotidienne est à ma charge, je suis donc au contact de tout ce tissu multicolore et laborieux qui la dessert : les innombrables petites boutiques  -  les supermarchés sont quasiment inexistants dans les années 80  -  où je fais mes courses quotidiennes, en arpentant les rues au revêtement souvent délabré, en pentes raides de Cihangir, cinq ou six paquets au bout des bras. Cela peut sembler gai sous le soleil mais dès l'arrivée du mauvais temps, avec le crachin insidieux et chargé des émanations du chauffage au mauvais charbon, le ruissellement de boue sur les pavés disjoints, la tâche devient nettement moins agréable...

   C'est une excellente école pour apprendre la langue, surtout pour quelqu'un comme moi qui préfère l'aborder par la pratique, plutôt que d'ingurgiter des listes de mots sur un cahier. Je crois que, tout professeur de langues que je suis, j'apprends les langues à la manière d'un enfant, m'immergeant dans un bain de sonorités, d'intonations, de musique en somme, les absorbant comme une éponge, sans me soucier, dans un premier temps, des règles de grammaire ou de syntaxe et je préfère deviner le sens des mots dans leur contexte plutôt que de les apprendre sur des cahiers. Une sorte de chasse aux trésors...

   Cela suppose de ne pas être gêné ou complexé par les inévitables fautes, ni paralysé par les sourires amusés des interlocuteurs ! Gilbert qui est beaucoup plus consciencieux et qui possède cent fois plus de mots, reste dans un mutisme prolongé, de peur de se ridiculiser en disant une phrase incorrecte ; je me sers souvent de son savoir, façon dictionnaire, lorsqu'un mot me manque...

   Rapidement, je deviens incollable sur l'endroit où trouver un réparateur de chauffage ou un plombier, où louer une bouteille de gaz (livrée à domicile), quel est le quartier des ferblantiers... Car à Istanbul, comme dans beaucoup de contrées orientales, les marchands et artisans se regroupent par spécialités, partant de l'idée qu'une telle concentration attire le chaland, au lieu de faire craindre la concurrence. D'ailleurs, ils n'hésitent pas à vous orienter chez un confrère s'ils ne peuvent vous offrir ce que vous cherchez... 

la suite suivra...

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