Trois ans, déjà...
Le 7 juillet est toujours une date à part... Impossible de ne pas revivre cette ultime nuit de
veillée, après le verdict sans appel du médecin : "Votre mari est en train de partir. " - "Partir où ?" - "Mourir, Madame". Ce petit dialogue reste
gravé pour toujours : ma question idiote qui ne peut, ne veut pas comprendre. Que le miracle tant de fois accompli n'aura pas lieu. Qu'il ne reste plus qu'à attendre, dans cette atmosphère
devenue soudain glaciale. Que lui, ce lutteur héroïque depuis des années et même depuis ces quelques mois de condamnation définitive, a fini par baisser les bras, comme en s'excusant : je suis
allé aussi loin que possible, je n'en peux plus...
Amos, cher ami et frère véritable, tu ne liras peut-être pas ces mots. Tu nous as tenu compagnie, à nous deux, dès mon premier appel, laconique et désespéré, jusqu'au bout
et même au-delà. Cette terrible attente en a été allégée et je t'en serai reconnaissante jusqu'à la fin de ma vie.
La vie continue et la tristesse se mue en énergie à chaque fois que je pense à lui. J'ai retenu la leçon. Il ne faut pas gâcher les instants qui nous sont impartis :
ils ne reviendront jamais. Il y a tant de choses passionnantes à faire pendant ce laps de temps si minuscule et la peau de chagrin diminue à une vitesse sidérale... Comment pourrait-on
envisager un seul instant la béance menaçante de l'ennui ?
Je n'ai pas besoin de "travailler" mon deuil, pas de pensum quotidien à accomplir, ni de solitude à combler. Avec ce testament-là, j'ai de quoi nourrir le restant de mes
jours...