Le blog de Flora

La Grande Histoire dans ma vie...

28 Février 2018, 19:03pm

Publié par Flora bis

   Quelqu'un a lancé une idée intéressante sur la blogosphère hongroise que je fréquente: où et comment avons-nous vécu les événements historiques qui se sont déroulés pendant notre vie? Quel souvenir gardons-nous de ces dates importantes pour tout un pays, voire pour toute l'Europe ou l'humanité entière?

   Nous avons recensé quelques dates, démarrant aussi loin que notre mémoire le permettait. Mon premier souvenir remonte à 1953: j'ai 5 ans. Nous marchons devant le parc de la mairie et une femme (membre éminent du parti communiste local) en sanglots arrive à notre rencontre: "Notre père Staline est mort! Qu'allons-nous devenir?..." Je suis effrayée: elle parle de "notre père", le disparu serait-t- un membre de la famille?...

  23 octobre 1956... Je viens d'avoir 9 ans. La nuit est tombée. Dehors, un groupe de gens défile en criant des slogans, pour moi incompréhensibles mais qui restent gravés dans ma mémoire: "A mort Gerő! AVH-s  -  assassins!" (Gerő était un des dirigeants principaux du parti stalinien, ministre de l'intérieur de sinistre réputation. L'AVH est l'abréviation de la police politique qui semait la terreur dans les années 1950, jusqu'à la révolution.) Un voisin paniqué vient aux nouvelles: il paraît que les insurgés ont balancé le responsable local du parti par la fenêtre... Il ne devait pas tomber de bien haut: il y avait peu de maisons à étage à l'époque dans notre bourg... Nos parents nous entourent d'un filet de protection, taisant devant nous les angoisses et les difficultés de la vie. Nous attrapons quelques mots mystérieux des conversations à voix basse qui parlent des greniers vidés, des gens emportés la nuit et réapparus, battus lors des interrogatoires musclés...

   1963, l'assassinat de Kennedy. Je suis à la deuxième année du lycée mais l'événement ne me touche pas vraiment... La politique était à des années-lumière de mes préoccupations. De toute façon, les décisions nous tombaient dessus sans que l'on nous consulte; infantilisés, nous n'avions pas à nous casser la tête avec des questions et des choix.

   1968. Prague. Mon frère est en train de faire son service militaire. Nous tremblons pour que l'on ne l'amène pas en Tchécoslovaquie, avec les divisions des 5 pays frères, afin de sauver le régime communiste tchèque de l'attaque des méchants impérialistes!

   En 1973, je passe dans le camp ennemi... Je m'intéresse toujours aussi peu à la politique, mes motivations sont uniquement sentimentales... Après 2 ans en Algérie où je me familiarise avec l'histoire de mon pays d'adoption, celui de mon mari, la France, nous arrivons dans Berlin-Ouest. Situation cocasse: ayant la double nationalité, je possède un passeport communiste et une carte d'identité délivrée par le Gouvernement Militaire de Berlin attestant que mon séjour est en rapport avec l'occupation de la ville par les alliés occidentaux... Heureusement, que l'atmosphère de schizophrénie ambiante ne m'était pas inhabituelle sous des régimes communistes!... C'est à Berlin que notre fils est né en 1977, et que nous sabrons le champagne le jour de la victoire de Mitterrand, en mai 1981.

   La catastrophe de Tchernobyl nous trouve à Istanbul, en 1986. On nous recommande d'éviter le café, le thé et les pistaches turcs car des pluies radioactives sont retombées du côté turc de la Mer Noire. Recommandation irréalisable pour les Turcs! Tout comme pour nous, résidents étrangers.

   En 1989, les régimes communistes s'effondrent. Les étoiles rouges géantes tombent du haut des édifices publics, les statues de Lenine et d'autres sont reléguées dans des parcs à souvenirs. Les vestiges de mes années hongroises, le décor de mon enfance et de ma jeunesse qui semblaient immuables disparaissent dans le tourbillon de l'histoire. J'ai perdu mes balises et j'ai du mal à me repérer dans ce pays nouveau...

 

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