Délices et pièges de la blogosphère
Cela faisait un bon moment que j'avais envie de tirer au clair mes
sentiments envers la pratique des blogs. Phénomène planétaire, invention géniale, interactivité, créativité aux possibilités quasi illimitées - et beaucoup de déchets aussi concernant
le niveau du langage, l'importance du sujet et l'illustration du propos. Mais c'est bien cette liberté sans bornes, sous le voile de l'anonymat ou à visage découvert, qui donne la légitimité non
censurée d'être mauvais ou génial, dilettante ou professionnel, intimiste émouvant ou détaché froid. C'est une véritable explosion de l'expression individuelle, privée jusque là de la place
publique ! Il faut donc accepter l'ivraie parmi les bons grains et trier vous-mêmes...
Il y a quelques jours, j'ai lu un commentaire véhément contre les dilettantes qui s'y croient, et, après quelques vagues cours de dessin, ils affichent l'étiquette "artiste",
bien visible, sans l'ombre d'un doute (qui est pourtant le signe élémentaire d'un début d'artiste véritable - tout comme l'humilité...). Pourquoi s'énerver ? Cela n'enlève rien à un
authentique talent, le contraste le rend même plus visible pour les connaisseurs et "l'imbécile heureux" est au moins heureux - et ce n'est déjà pas si mal par les temps qui
courent!
Cependant, j'en arrive à l'aspect le plus "piégeux" du blog. On lance sa bouteille à la mer. Même ceux qui ne l'avouent pas, attendent un écho, un dialogue enrichissant. Des
amitiés virtuelles se créent, souvent sous pseudonyme, sans quasiment rien connaître de son interlocuteur que son propos. Je suis frappée par la sincérité sidérante de quelques blogueurs, par le
ton qu'ils utiliseraient rarement avec leurs proches. Est-ce plus facile sous le masque de l'anonymat ? Je débarque dans la vie virtuelle des inconnus, sans y être invité et nous devenons
presque des familiers ; puis, ni vu ni connu, je reprends ma valise sur la pointe des pieds. Personne ne me reprochera mon infidélité, pas de scène déchirante... Tout est virtuel mais le
piège se situe justement là.
Lorsque nous quittons la réalité pour nous réfugier dans ce virtuel douillet, nous nous faisons facilement prendre dans cette toile-là. L'addiction s'installe. Quelques jours
sans commentaires ? Le sentiment cruel de l'abandon point à l'horizon. Suis-je devenu si inintéressant que personne ne daigne s'arrêter sur mes bafouilles ? C'est aussi le danger que Imre
Kertész, écrivain hongrois met en évidence dans son discours de réception du Nobel (toutes proportions gardées, bien évidemment !) : on commence à écrire en fonction de l'attente supposée d'un
public virtuel. Autant dire que c'est le meilleur moyen de se tirer une balle dans le pied !
Un seul remède : s'entraîner à garder son ego dans sa poche, rester fidèle à soi-même et le reste viendra - ou ne viendra pas... C'est encore une méthode de mon cher
maître Epicure en personne qui donne une foule de bons conseils pour se préserver des souffrances inutiles ! Gardons les pieds sur terre parmi les amis bien réels pour partager les bons
et les mauvais moments et cela n'empêchera pas les incursions enthousiasmantes sur la blogosphère !