Escapade brève dans le passé
Tant de fois je m'installe, je me réfugie dans ma bulle devant mon ordinateur, à la recherche du réconfort, de la consolation que seule l'envie lancinante d'écrire peut m'offrir. Ressusciter les souvenirs du passé ou de humer les plaisirs (rares) et les tracas (plus courants) du présent. Plonger dans la "nostalgie d'un ravissement", avec les mots de Yasmina Reza qui qualifie ainsi l'écriture. Définition qui me convient parfaitement.
Le passé, pour moi, ne représente pas seulement un refuge, ni un désintéressement stérile du présent mais une mine de grâces pour mieux comprendre ce dernier. Egrainer le chapelet des générations précédentes, les images des fantômes familiers, j'en ai constamment besoin pour vivre pleinement le présent. Questionner le socle sur lequel ma vie s'appuie.
J'ai eu de la chance de connaître mes quatre grands-parents, de vivre avec eux, d'être bercée, nourrie de leurs histoires qu'ils racontaient avec le talent des conteurs d'autrefois. Les grands-pères seulement. La première guerre mondiale a fait d'eux de grands voyageurs : le front russe, la captivité dans une ferme du Caucase pour l'un, dans une usine sucrière en Crimée pour l'autre. Je les écoutais jusqu'à plus soif, en projetant sur l'écran blanc de mon imaginaire les images suscitées par leurs mots, leurs expressions, mon cinéma sur les murs chaulés de la maison.
Mes grands-mères ont gardé leurs histoires profondément enfouies en elles. Cela reste mon éternel regret : je ne sais presque rien de leur jeunesse. Les rares photos les montrent fières et belles. J'aimerais connaître leurs rêves - en ont-elles seulement eu? Et les tourments de leur vie amoureuse?... Je les ai toujours connues vieilles, ridées à l'ombre des foulards immanquables. Ensevelie aussi l'envie de raconter. On disait à l'époque : "La femme s'appelle "Tais-toi"...