Des tics et des tocs...
Il y a des étrangers qui apprennent le français à l'école, à la fac et d'autres qui l'apprennent "sur le tas", dans le bain vivant de la langue. Dans le premier cas, on s'initie à une langue châtiée, en étant confronté à d'innombrables règles grammaticales, linguistiques. Approche difficile qui, parfois, ne sert pas vraiment à demander son chemin dans le pays!... L'autre solution - que beaucoup d'immigrés connaissent - c'est d'être jeté dans le bain, d'absorber une langue comme une éponge. Ce deuxième abord très empirique permet de se débrouiller plus rapidement dans la vie de tous les jours, ignorant la plupart du temps les nuances et les règles de la langue que l'on essaye de conquérir.
En ce qui me concerne, j'ai commencé par la première méthode, enrichie par la seconde en rencontrant mon futur mari. Je me souviens encore du sentiment douloureux de manquer parfois de mots pour exprimer ma pensée le plus justement possible. Ce souci de justesse ne me quittera jamais.
Les hasards de la vie ont fait que le français est devenu non seulement mon métier mais aussi ma langue de tous les jours. Nous nous sommes adoptés mutuellement mais je suis consciente que cette adoption me demandera du travail jusqu'à la fin de ma vie... Un travail jamais ennuyeux et très enrichissant.
Dans la vie quotidienne, j'ai souvent les oreilles écorchées par les incorrections commises par snobisme ou négligences que l'on inflige à cette belle langue française. Comme si certains n'étaient même pas conscients de ses richesses infinies, ils agitent les 500 mots de vocabulaire squelettique qu'ils possèdent. Depuis un moment, l'envie me pousse à faire un petit bouquet non exhaustif de ces tics envahissants qui se propagent par mimétisme comme une incendie de forêt en été. De quoi je me mêle? De quel droit oserais-je épingler les défauts de natifs chanceux qui absorbent leur langue maternelle avec le biberon? D'autant plus que j'ai trop conscience de mes propres faiblesses et fragilités.
"ça va le faire", "pas de souci", "du coup", "en fait", "j'ai envie de dire", "on va dire ça comme ça", "focus", "genre", "en mode..." etc, etc... Ce sont souvent des expression "bouche-trou" pour meubler la conversation.
En général par snobisme, les anglicismes, américanismes envahissent l'espace de la communication, la "cyber-espace" du bureau. Certains s'enracinent, d'autres essaient de le faire même s'il y a l'équivalent en français. Les "brainstorming", "call-conf", "management" et autres "challenges" hésitant entre anglais et français dans la prononciation, alors qu'un simple "défi" serait plus court pour ce dernier... Mais le plus horripilant est ailleurs: des petits monstres nés ces derniers temps dans les cerveaux technocratiques, repris par les média serviles et par le grand public soucieux d'être "in".
Commençons par l'adjectif "compliqué". Essayez de tendre l'oreille: combien de fois l'entendez-vous dans la journée et à toutes les sauces? Il remplace tous les synonymes, faisant fi aux nuances de la gravité qu'il voudrait préciser. Plus de place pour "difficile", "complexe", "pénible", "grave", "délicat" et beaucoup d'autres nuances qui sont balayées par le seul choix qui s'impose. L'autre paire de jumeaux monstrueux mis au monde par la Covid : "présentiel" et "distanciel". Ils prospèrent et se répandent comme une pandémie. Ils font pâlir leurs aînés : "On est sur une commode Restauration" dit le commissaire priseur imbu de sa science. "Suite à notre conversation d'hier..." au lieu de "A la suite de notre conversation"... semble prendre racine. Ne parlons même pas de "au niveau de..." ou pire encore, "niveau efficacité, on est (au) top"... Quand on ne sait plus comment relier les éléments du syntaxe...
Pour ma part, je reste avec Erasme de Rotterdam qui a dit: " La maîtrise de la langue est primordiale. Sans elle, on ne peut maîtriser le monde." Langage riche et limpide = pensée riche et limpide, ajouterais-je volontiers.