Ruminants...
Depuis toujours, je passais les vacances d'été chez mes grands-parents maternels, à l'autre bout du pays. Quelle que soit la distance, l'autre bout est quand-même l'autre bout, même dans un petit pays! Sans doute que nos ratios se modifient à l'échelle du pays que nous habitons...
Tout était différent dans ce coin perdu, près de la frontière autrichienne. Après la Grande Plaine, où la seule bosse de mon horizon était constituée par la digue de la Tisza, la grande rivière paresseuse et par endroit capricieuse qui longeait le gros bourg où je suis née, dans ce minuscule village à trois-quatre rues, les douces collines enchantaient mon regard. Muché (comme on dit dans ch'Nord cher à mon coeur d'adoptée) dans des forêts d'acacias et de chênes, il demeurait invisible et il fallait emprunter des routes connues des seules initiés, pour y parvenir. Avec la calèche tirée par deux superbes chevaux de mon oncle, nous arrivions de la gare, tels des hôtes de marque! Et le conte de fée démarrait immanquablement, tous les ans, avec le même enchantement au rendez-vous.
Adolescente, on me confiait la garde de la vache de ma tante: signe de grande confiance! Une vache ne m'était pas tout à fait exotique, nous en possédions quand j'étais petite mais je n'ai jamais eu à m'en occuper. Ainsi, garder la vache de ma tante faisait partie de la grande bouffée de liberté de mes vacances d'été.
Moi qui n'ai jamais été matinale, je me levais allègrement avec le soleil, vers 5 heures du matin. Je respirais la douceur de l'air, encore frais de la rosée et des premiers rayons du soleil presque timides. Pieds nus - mon grand plaisir estival - je suivais la vache jusqu'à la pâture: elle connaissais le chemin par coeur. Elle broutait à sa guise toute la journée, me laissant tranquille sur la couverture dans l'herbe odorante, avec mon bouquin et les tartines démesurées de ma tante. J'aimais son côté imperturbable, elle m'enseignait sa philosophie en harmonie avec la nature. Avec le soleil pâlissant, on prenait le chemin du retour. Elle pressait le pas, avide d'être soulagée par la traite du soir. Immanquablement, elle retrouvait la maison dont la porte grande ouverte nous attendait...
* illustration: une de mes aquarelles de 1962, peinte là-bas, à 14 ans...