Oeuvre de Gilbert * La Trilogie Armstrong (inédit et inachevé) 16.
Ariane nous honore d'une visite éclair. Séverine - sixième sens ou hasard ? - venait
d'acheter de la vodka. J'ai l'impression que ma soeur éprouve plus de difficulté à se lever d'une chaise ou à se tenir droite qu'avant le pèlerinage. Elle prétend le contraire mais au troisième
verre, elle se trahit, racontant qu'un couple de clients fidèles, entré dans sa boutique, a été surpris de ne pas y trouver l'antiquaire. Des gémissements au creux d'un lourd fauteuil ont révélé
qu'elle s'y tenait, cramponnée à sa canne. Devrai-je la tuer, comme Véronique, pour éviter toutes ces souffrances ? J'hésite. On maquillerait en cruauté mon sens humanitaire. La philosophie n'est
d'aucune aide. Kant pense que le monde extérieur ne nous est connu que par l'intermédiaire de notre pensée. L'idéalisme transcendantal... Plus radical, Berkeley affirme que la matière n'existe
pas. Le monde n'est qu'une création de l'esprit. Il ne va pas jusqu'au solipsisme qui reviendrait à dire : "Mon cerveau est le seul à exister ; dès que je ferme les yeux, le monde disparaît et si
je meurs ne reste que le néant." Il ne va pas jusque là mais qu'est-ce qui m'empêche de le faire ? Paupières closes, le cancer s'évapore, Ariane cesse de souffrir, Séverine de s'engluer dans la
morosité des deux Goncourt. Un rabat-joie, au fond de mon cerveau, prétend que la maladie est en moi, qu'il ne suffit pas de fermer les yeux. Je balaye l'argument! Le pur esprit n'a pas de moelle
osseuse.
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