Au milieu du gué...
De plus en plus souvent, je me surprends dans un état d'incertitude, une sorte de perte d'orientation dans le brouillard, comme si je me retrouvais à un carrefour important en tâtonnant, sans savoir vers quelle sortie m'orienter... Avec la hantise de perdre un temps précieux sur le crédit de cette fameuse peau de chagrin déjà à portion congrue...
Durant de longues années, toute ma vie presque, jusqu'à la mort de Gilbert voilà 5 ans déjà, j'avais l'impression d'avancer sur des rails. L'école, les études, le travail, mes 33 ans avec un homme qui donnait rarement l'impression de l'indécision, je n'avais pas le malheur ou le luxe du tâtonnement... La vie dictait la marche à suivre. Le combat pour la survie commandait à se mobiliser à fond, sans lâcher prise un instant, un seul qui risquait d'être fatal.
Après la mort de Gilbert, j'ai continué sur la lancée... Comme s'il m'avait légué sa formidable énergie. Dans une sorte d'effervescence non loin de l'exaltation, avec mon penchant naturel pour la sublimation des événements et des personnes, un besoin intime et indispensable, un paquetage de survie... Une exigence secrète aussi à essayer d'être digne de sa mémoire, du souvenir de son combat magnifique.
Petit à petit, j'ai abandonné une bonne partie des activités que nous avions menées ensemble: trop lourdes pour mes épaules désormais. Le poids des années aussi... L'envie de me concentrer sur certaines choses... Cependant, je me pose la question: tous ces nobles prétextes ne seraient-ils pas de simples leurres? On ne peut pas tromper soi-même durablement.
Je me surprends à apprécier la solitude, je dois me forcer pour sortir de ma "tanière". Au début, ce n'était que discours réconfortant, voire défi à moi-même qui ne pouvais jusque là respirer sans les autres... Justement, l'alerte s'est insinuée dans mon esprit par ce biais-là. Bien sûr, ma solitude est relative, pas du tout mortifère ni isolée de tous. Je peux l'interrompre en cas de panique... Les quelques années de mobilité qui me restent (sauf accident), rendent la possibilité de bouger assez rassurante pour remplacer les vrais mouvements - mais il ne suffit pas de regarder le train passer, en se disant qu'on pourrait le prendre si l'on voulait!
Je commence à réaliser pour de bon que les choix m'appartiennent désormais. A moi seule. Cela donne une sensation de liberté, certes, mais pose aussi un poids inoui sur la pauvre Balance que je suis et qui ai tellement de mal à prendre une décision...