Bribes de mémoire 35. Stage linguistique à Moscou
Je suis en quatrième année d'études universitaires, d'une formation
exigeante qui en comporte cinq, en vue de devenir professeur de russe et de français au lycée. La section du russe propose un stage d'un an à Moscou, de septembre à fin juin, avec des cours
et des examens pour étudiants étrangers. Étrangers nous ne sommes pas vraiment car nous faisons partie de la grande famille du bloc socialiste dont les codes nous sont habituels. Une
famille dont les membres ne se sont pas librement choisis et qui ne tient, d'ailleurs, que par la volonté musclée et sans appel du chef de famille...
Le russe est obligatoire à l'école, nous l'apprenons à partir de dix ans et pendant au moins huit années. On pourrait imaginer que toute la jeunesse est bilingue mais le résultat est
plutôt catastrophique comme pour tout ce qui est forcé. Pour moi, c'est un jeu merveilleux de m'exprimer dans un autre univers sonore. Pourtant, pendant les quatre premières années
d'apprentissage, j'ai un professeur lamentable, pauvre femme ayant subi une formation en accéléré, avec quelques leçons d'avance sur nous. Au lycée, je suis dans une section "spéciale
russe", à cinq heures par semaine, avec un jeune professeur enthousiaste qui a su nous insuffler des vocations, sachant desserrer les cadres stricts du programme rébarbatif pour nous
initier à la grande littérature russe (que je dévore avec émerveillement et vertige).
Cette quatrième année donc, nous débarquons dans un Moscou de fin d'été, d'une douceur trompeuse et bientôt sévèrement démentie. 36 heures de train dans des cabines pour quatre
personnes, larges couchettes très confortables, samovar au bout du wagon et accompagnateur/contrôleur serviable aux petits soins pour les passagers. Long arrêt à la frontière où nous nous
retrouvons, ébahis, suspendus en l'air, le temps de changer les roues pour un écartement plus large sur les chemins de fer russes. Ce n'est que le premier signal du dépaysement !
Nous sommes logés dans un vieux bâtiment assez délabré mais qui a l'avantage de se situer près du lieu de nos études : au "Pedagoguitchesski Institoute imeni Lénina", nous pouvons
faire le trajet à pied. Les chambres ne sont pas grandes, il y a juste de la place pour quatre lits en fer, une table, deux chaises et une penderie pour quatre locataires ! Comme nous sommes
obligés d'avoir nos affaires d'été comme celles d'hiver, nous stockons la plus grande partie dans nos valises sous notre lit.
Nous sommes deux Hongroises et deux Russes par chambre. Avec mon amie Marie, nous découvrons donc Natacha, étudiante en histoire et Angelina, une belle et énigmatique Bulgare : les
deux s'avèreront sources d'aventures insolites...