Le blog de Flora

Bribes de mémoire 29. Dictature du prolétariat...

3 Mars 2009, 15:02pm

Publié par Flora

   Je me dis souvent que mon côté "difficilement impressionnable" vient aussi de mon père. Je suis particulièrement insensible au décorum, aux honneurs médaillés, à la hauteur des postes et des fonctions. Je trouve la phrase de Montaigne jubilatoire : "Au plus élevé trône du monde, si* (*néanmoins) ne sommes assis que sur notre cul."  Du moment que vous êtes conscient de la profondeur de la portée de cette idée, elle vous ôte tout complexe devant la vanité des pouvoirs relatifs et vous n'accordez plus votre admiration qu'aux richesses véritables et inaltérables : celles du coeur et de l'esprit (j'entends "coeur" dans le sens symbolique des capacités empathiques et émotionnelles maîtrisées). Et cela, bien évidemment, ne dépend pas de la place que vous occupez.

   Mon père ne cherche jamais à se placer près du feu. Il part à la guerre avec un CAP de meunier. Par la suite, il fait plusieurs métiers très variés, du cafetier au bûcheron, au gré des possibilités qui s'offrent à lui pendant les années de tous les bouleversements de l'après-guerre. La dictature communiste s'installe, sous la protection de l'armée soviétique. Rákosi est un fidèle disciple de Staline, le pays se transforme dans une gaieté de façade institutionnelle et forcée, tandis que derrière les coulisses, les gens se courbent dans le silence de la peur. La campagne paye un lourd tribut, obligée de rendre à l'état deux tiers de toute récolte : du lait, des oeufs, de la viande de l'unique cochon que l'on est autorisé de tuer dans l'année, des légumes, du maïs, du blé... De tout. Celui qui essaie de tricher en déclarant moins et en cachant le surplus est sévèrement puni avec prison ou bagne, très dissuasifs, sans autre forme de procès. La parole est particulièrement surveillée. Nous les enfants, n'y comprenons que les mines de conspirateurs des adultes qui doivent cacher quelque chose de grave. J'entends souvent le mot "finánc"  (prononcer "finantz") qui prend, à mes yeux d'enfant de 4-5 ans, des allures de père fouettard effrayant et dont il convient de tout cacher et de se méfier au plus haut point car il a l'habitude de passer à l'improviste et souvent la nuit, pour vérifier si on a tout bien déclaré...
    Comment peut-on imaginer que j'aie pu garder des souvenirs d'une enfance heureuse et ensoleillée dans des conditions aussi étouffantes, du moins vu de l'extérieur ? Je suis persuadée que tout vient de la magie des parents qui ont réussi à préserver notre insouciance en cachant leurs préoccupations majeures. Mais ce n'est que la moitié de leur vérité. Ces années de dictature aboutissant à la révolte de 1956, pour eux comme pour beaucoup de déshérités des régimes précédents, représentent une réelle amélioration par rapport au passé. C'est la première fois qu'ils entendent qu'ils sont des citoyens à part entière, que ce pays leur appartient, que l'école et la santé sont gratuites et qu'ils ont le droit de relever la tête... Du moins dans le discours... mais c'est déjà énorme, vous savez...
la suite suiva...

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B
"préserver notre insouciance en cachant leurs préoccupations majeures" -> Voilà bien la plus grande difficulté de l'art d'être de bons parents !
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F
<br /> Merci de ta visite Bregman! J'ai fait un tour chez toi, c'est très varié; j'y retournerai par des temps plus calmes!<br /> Pour ce qui concerne les parents, tout est une question de dosage! Ce n'est pas la peine de charger la barque inutilement par des soucis que les enfants ne peuvent assumer; par contre, il ne faut<br /> pas tout dissimuler non plus...<br /> Mais c'est plus facile à dire qu'à le faire... <br /> <br /> <br />
F
Chère Âme Chopinienne, j'ai rayé le mot péché de mon vocabulaire, c'était bien un des pricipaux motifs qui m'ont fait fuir la religion!<br /> "La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil" a dit René Char. Ce n'est donc pas de la fausse modestie mais de la lucidité qui est une blessure et une défense contre les désillusions...
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A
Parfaitement d'accord avec La Merlinette qui semble de mon avis... Ceci est une belle autobiographie, et de la VRAIE littérature. Seigneur, comment donc faut-il te le dire ? Trop de modestie est péché d'orgueil...
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L
de bribes en bribes qui finiront par <br /> devenir belle<br /> auto/histobiographie...<br /> et puis qu'entends tu par "pas encore de la littérature"...quoi-t'esce donc La Littérature?
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F
<br /> Chères Amies, toutes les deux! Vous me touchez beaucoup par votre attention et cela me fait énormément plaisir : ça comble même mes ambitions.<br /> Non, ce n'est pas de la fausse modestie (j'ai toujours du mal à convaincre, dommage...) <br /> Tolstoï, c'est de la littérature... Faulkner aussi... Idem pour Garcia Marquez... la liste est encore très longue! Moi, je m'amuse et essaie de faire "joli" (c'est typiquement le mot qui est<br /> antagonique avec la littérature) mais j'ai trop d'admiration pour la Littérature pour avoir de telles prétentions. Est-ce que cela deviendrait un jour de la Littérature (non dilettante), je n'en<br /> sais rien. Qu'est-ce qu'il faut pour cela? Je pense à mon maître en peinture à Istanbul: il m'a encouragée, puis il m'a regardée en disant : "Toi, tu t'arrêtes au bord du précipice; tu n'es pas<br /> encore prête à sauter!" Et je ne suis toujours pas prête à sauter...<br /> Je vous embrasse: R.<br /> <br /> <br />
A
Ah, je suis tellement d'accord avec toi ! nous sommes semblables : je suis moi aussi insensible à la hauteur des postes et des fonctions. Un "chef", aussi haut placé qu'il soit, ne m'impressionne pas du tout. J'ai connu tant de "supérieurs" hiérarchiques qui sont de vrais salauds, des psychopathes, des pervers (j'en subis un tous les jours encore aujourd'hui...). Que Montaigne a raison ! Mais qu'il est difficile de subir l'autorité de ceux qui ne possédent pas les qualités du coeur et de l'esprit... Vive l'anarchie (au sens politique du terme, s'entend).<br /> Rozsa, ton ouvrage s'intitulera "Bribes de mémoire", et ce sera un parfait témoignage de la vie en Hongrie, et un texte dans lequel chacun pourra retrouver un peu de sa propre expérience intérieure... J'insiste !!!!
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F
<br /> Merci de ta visite, chère Âme Chopinienne. Tu es une vraie supportrice pour flora la clandestine et qui désire rester dans l'anonymat, tout en "prenant son pied" dans cet exercice d'écriture qui<br /> n'est pas encore de la littérature...<br /> <br /> <br />