Soulagement momentané...
Samedi après-midi... En rêvassant mais sans enthousiasme, je pousse le caddy dans les rayons de la supérette du coin. Tout d'un coup, des éclats de voix perturbent le silence: les rares chalands se regardent, incrédules. Une fillette de 4-5 ans, pour son malheur, dirige son mini-caddy vers la "mauvaise" rangée. Le père, énergumène sur les nerfs, est en train de la "corriger", d'abord avec des hurlements, puis des coups en renfort...
Je m'appuie sur mon caddy car je me sens très mal. J'ai du mal à supporter la violence, en particulier envers plus faibles sans défense. Dans mon enfance, je n'ai jamais essuyé la moindre fessée ni de gifle. Je ne les pratiquais pas non plus sur mon fils, enfant, ni sur mes petites-filles. Ce genre de spectacle me met au bord du malaise: nausée, vertige, tremblements...
Avec quelques clients, nous nous regardons, abasourdis, impuissants. Il est délicat d'intervenir, dangereux même parfois. Les invectives continuent, l'énergumène entraîne la fillette vers des rayons latéraux, lui promet des "punitions" à la maison. Mon sang ne fait qu'un tour: j'imagine un traitement encore plus sévère à venir. J'abandonne mon caddy et me lance vers eux: il faut que je fasse quelque chose avant de m'effondrer!
Je pose ma main sur son bras et je lui parle tout bas (de toute façon, le moindre son a du mal à franchir ma gorge): "Monsieur, vous n'avez pas besoin de prouver à votre fille avec des coups et des hurlements que vous êtes le plus fort: ça saute aux yeux! Ne croyez-vous pas qu'il serait plus efficace de lui expliquer calmement ce que vous voulez?" Il se défend (mais étonnamment, il baisse la voix): "Vous n'avez pas idée à quel point elle est intenable! Il faut qu'elle comprenne qui commande! Elle nous a couverts de honte quand la maîtresse nous a convoqués car elle avait mordu ses petits camarades!" J'insiste: "Vous ne pensez pas qu'elle ne fait que reproduire la violence dans laquelle elle baigne à la maison?" Je laisse ma main sur son bras et ce geste de quasi compassion freine quelque peu son agressivité. Il veut me convaincre en disant que lui, il a été un enfant modèle qui n'osait même pas bouger quand sa mère le lui ordonnait. Je me dis: voilà la réaction en chaîne...
Ils sont partis en silence. Quelques personnes sont venues me parler. Mon malaise a mis des heures à se dissiper. Je ne ressens aucun soulagement. Ce n'était qu'un bref répit dans la vie de la fillette (et combien d'autres!) qui, de toute la durée de notre échange (retranscrit ici en grandes lignes) n'a cessé de me fixer avec ses grands yeux bleus...