Oeuvre de Gilbert * "Poste restante"
[...] Brodequins, bûcher, cangue, carcan, chevalet, corde,
croix, écorchement, électrocution, estrapade, flagellation, fusillade, fouet, garrot, gaz, gibet, guillotine, knout, lapidation, match du Paris-Saint-Germain, pilori, potence, roue, tenaille,
avec méthode, dans l'ordre alphabétique, il décida sa* mort dans des supplices atroces. Restait à bien choisir. L'écartèlement aurait été parfait mais il nécessitait quatre
chevaux ; or les agriculteurs les remplaçaient par des tracteurs. La peste bubonique avait ses charmes. Comment se procurer le germe ? Il se rabattit sur le pal, utilisant, finesse ultime, le
manche d'un balai, un instrument que la Montlieu, ci-devant marquise, authentique cul-terreuse, ne devait pas souvent toucher. Les spécialistes recommandaient un bout bien rond : les extrémités
déchiraient les chairs et vidaient le patient avec une précipitation fâcheuse.
Habitant d'une ville, Octave Dollet se serait adonné aux joies des lettres
anonymes, livrant par tonnes les secrets mesquins qu'il surprenait dans les correspondances volées. Ses circulaires photocopiées, enluminées de détails scabreux, de calomnies salaces auraient
atteint commissariats et salles de presse. Des brouilles auraient suivi, procès, vengeances meurtrières et rancunes séculaires. Mais il habitait Vrévillemont, limace poussive glissant de part et
d'autre de la route, entre la voie ferrée et le maigre ruisseau qui refusait de déborder, le trou sinistre et disgracieux de sa naissance, de l'enterrement de ses parents, carbonisés dans
l'incendie de leur maison. [...]
* celle de Mme de Monlieu, riche et méprisante propriétaire de terres
extrait de la nouvelle "Poste restante" in "Ennemis très chers" éditions Le Manuscrit 2001
Illustration R.T.