Le blog de Flora

La visite * huile (1993)

4 Mars 2009, 19:47pm

Publié par Flora

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Bribes de mémoire 29. Dictature du prolétariat...

3 Mars 2009, 15:02pm

Publié par Flora

   Je me dis souvent que mon côté "difficilement impressionnable" vient aussi de mon père. Je suis particulièrement insensible au décorum, aux honneurs médaillés, à la hauteur des postes et des fonctions. Je trouve la phrase de Montaigne jubilatoire : "Au plus élevé trône du monde, si* (*néanmoins) ne sommes assis que sur notre cul."  Du moment que vous êtes conscient de la profondeur de la portée de cette idée, elle vous ôte tout complexe devant la vanité des pouvoirs relatifs et vous n'accordez plus votre admiration qu'aux richesses véritables et inaltérables : celles du coeur et de l'esprit (j'entends "coeur" dans le sens symbolique des capacités empathiques et émotionnelles maîtrisées). Et cela, bien évidemment, ne dépend pas de la place que vous occupez.

   Mon père ne cherche jamais à se placer près du feu. Il part à la guerre avec un CAP de meunier. Par la suite, il fait plusieurs métiers très variés, du cafetier au bûcheron, au gré des possibilités qui s'offrent à lui pendant les années de tous les bouleversements de l'après-guerre. La dictature communiste s'installe, sous la protection de l'armée soviétique. Rákosi est un fidèle disciple de Staline, le pays se transforme dans une gaieté de façade institutionnelle et forcée, tandis que derrière les coulisses, les gens se courbent dans le silence de la peur. La campagne paye un lourd tribut, obligée de rendre à l'état deux tiers de toute récolte : du lait, des oeufs, de la viande de l'unique cochon que l'on est autorisé de tuer dans l'année, des légumes, du maïs, du blé... De tout. Celui qui essaie de tricher en déclarant moins et en cachant le surplus est sévèrement puni avec prison ou bagne, très dissuasifs, sans autre forme de procès. La parole est particulièrement surveillée. Nous les enfants, n'y comprenons que les mines de conspirateurs des adultes qui doivent cacher quelque chose de grave. J'entends souvent le mot "finánc"  (prononcer "finantz") qui prend, à mes yeux d'enfant de 4-5 ans, des allures de père fouettard effrayant et dont il convient de tout cacher et de se méfier au plus haut point car il a l'habitude de passer à l'improviste et souvent la nuit, pour vérifier si on a tout bien déclaré...
    Comment peut-on imaginer que j'aie pu garder des souvenirs d'une enfance heureuse et ensoleillée dans des conditions aussi étouffantes, du moins vu de l'extérieur ? Je suis persuadée que tout vient de la magie des parents qui ont réussi à préserver notre insouciance en cachant leurs préoccupations majeures. Mais ce n'est que la moitié de leur vérité. Ces années de dictature aboutissant à la révolte de 1956, pour eux comme pour beaucoup de déshérités des régimes précédents, représentent une réelle amélioration par rapport au passé. C'est la première fois qu'ils entendent qu'ils sont des citoyens à part entière, que ce pays leur appartient, que l'école et la santé sont gratuites et qu'ils ont le droit de relever la tête... Du moins dans le discours... mais c'est déjà énorme, vous savez...
la suite suiva...

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Miklós Radnóti (1909-1944) * Lettre à sa femme

1 Mars 2009, 09:20am

Publié par Flora

Dans les profondeurs, muets, des mondes veillent,
le silence n'est qu'un cri dans mon oreille;
mais qui donc me répondrait quand moi je crie ?
La guerre a biffé la lointaine Serbie...
Lointaine, tu l'es aussi, ta voix qu'en rêve
j'entends, vibre en mon coeur quand le jour se lève...
ah que dire quand alentour, froide, fière,
chuchotante se redresse la fougère ?

Quand pourrai-je te revoir, ô mon amante,
femme grave comme un psaume et rassurante,
belle comme la lumière et comme l'ombre,
qu'aveugle, muet j'attendrais sans encombre ?
Tu te perds à présent dans le paysage
mais du tréfonds de moi monte ton visage,
tu étais le réel, tu n'es plus qu'un songe
et dans le puits des jours anciens tu replonges

l'enfant jaloux qui veut savoir si tu l'aimes,
et l'espoir que tu sois ma femme à l'extrême
sommet de ma jeunesse, un jour, me soulève
comme alors, et je me réveille de mon rêve.
Je le sais, tu es ma femme et mon amie
en dépit de trois frontières d'infamie.
De nos baisers le souvenir se ravive...
Vais-je croupir ici quand l'automne arrive?

J'ai caressé les chimères les plus folles;
aujourd'hui les esquadrilles me survolent,
l'azur où je retrouvais tes yeux se plombe,
du sein des soutes là-haut tombent les bombes,
et je vis malgré cette guerre qui dure;
captif, de tout espoir j'ai pris la mesure,
mais toi je te rejoindrai quoi qu'il en coûte,
toi pour qui j'ai parcouru la longue route

de l'âme, et tous ces pays; car ni la braise,
pourpre ne m'arrêtera ni la fournaise;
fût-ce par enchantement j'aurai la force,
et s'il le faut l'endurance de l'écorce...
Une paix  -  qui vaut le pouvoir et les armes  -
la paix d'un homme endurci dans les alarmes
descend dans mon coeur... Et sur moi de s'abattre 
la lucidité du deux-fois-deux-font-quatre.
                               
Lager Heidenau, dans la montagne au-dessus de Zagubica, août-septembre 1944

*J'ai longuement hésité à publier cette traduction de Jean-Luc Moreau de l'un des plus beaux poèmes de Radnóti, la seule dont je dispose. Je me demandais ce qui tuait la légèreté, la beauté grave de ce texte et je pense que c'est la recherche de la fidélité aux rimes à tout prix. Les rimes dans l'original se fondent sans lourdeur dans l'image poétique tandis qu'en français, ils alourdissent singulièrement les tournures, les transformant par moment en poésie de "tailleur de rimes" pour réunions de famille... "...a háborùba ájult Szerbiából..."  -  "de la Serbie s'évanouissant dans la guerre..." devient "... La guerre a biffé la lointaine Serbie." Ceci dit, je n'avais qu'à m'atteler moi-même à la tâche, diriez-vous, mais hélas, je ne suis pas poète..
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