Le blog de Flora

Ágnes Nemes Nagy (1922-1991) : Glace

17 Mai 2010, 10:23am

Publié par Flora

GLACE

Comme en hiver dans le lac les roseaux,

En moi lentement le monde se glace

Et parmi les roseaux se figent et s'entassent

Un pan de ciel, une image, un rameau.

Si je croyais en toi tu rouvrirais

Silencieusement tes paumes chaudes

Qui deviendraient petits soleils là-haut,

Au-dessus du lac et de tout l'hiver.

La glace et l'écume alors bougeraient,

Tous les objets à la fois brilleraient,

Comme des poissons tous ils bondiraient.

(traduction de Guillevic)

JÉG
Belémfagy lassan a világ,
mint téli tóba nádbugák,
kis torlaszokban ott ragad
egy kép, egy ág, egy égdarab –
ha hinnék Benned, hallgatag
széttárnád meleg tenyered,
s az két kis napként sütne fönn
a tél felett, a tó felett,
hasadna jég, mozdulna hab,
s a tárgyak felszökellve mind
csillognának, mint a halak.

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Méditation dans la mosquée * lavis d'encre (1989)

13 Mai 2010, 16:05pm

Publié par Flora

Ulu camii

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Photographie...

11 Mai 2010, 11:35am

Publié par Flora

Col-de-dentelle.jpgChose exceptionnelle, Amélie aime son prénom, elle s'y sent à l'aise. Il correspond à ses rêves de jeune fille, puisés dans quelques romans à l'eau de rose, dérobés à la vigilance maternelle, à surveiller sans cesse si les mains de l'adolescente sont occupées à quelque chose d'utile. La vacuité mène à la paresse, péché impardonnable selon les austères principes calvinistes...

   Amélie est bonne élève, appliquée, un peu rêveuse peut-être, sans s'avouer à elle-même l'objet de ses rêves : son instituteur, beau comme un acteur de cinéma  -  du moins, tels qu'elle les imagine, n'ayant jamais approché un cinéma  -  avec ses cheveux dorés, plaqués en arrière avec quelques vagues savantes et ses yeux d'un vert caressant. De temps en temps, il s'arrête devant elle, appuie sa main fine qui n'a jamais touché aux travaux des champs, sur sa table et Amélie retient son souffle : elle ferme ses yeux baissés sur le cahier et de toutes ses forces, elle veut fixer, absorber, s'accaparer l'instant, la présence à la fois douce et bouleversante qui laisse un léger parfum de lavande sur le plateau, parmi les taches d'encre. Une fois la lampe à pétrole soufflée, dans l'étroit lit gigogne qu'elle doit partager avec sa soeur aînée et le vieux chat zébré, elle remémore les fragments multicolores de sa richesse infinie, glanés dans la journée.

   L'instituteur a repéré Amélie parmi les enfants du village : il voudrait pousser les parents à l'envoyer à la ville pour continuer l'école. "Une bonne tête, il ne faut pas la priver de sa chance", répète-t-il. Le père décide, ils serreront la ceinture. Plusieurs fois par semaine, Amélie prend le chemin de la ville, cinq-six kilomètres plus loin, à travers champs, avec ses souliers sous le bras pour éviter de les user et de les salir. Une fois arrivée au petit bourg, elle s'arrête à la première fontaine, se lave les pieds pour pouvoir enfiler les souliers.

   Deux années passent à ânonner les rudiments de l'allemand, du latin et d'autres matières savantes, sous l'oeil et les coups de canne des religieuses. Puis les portes du paradis se referment dans un grand claquement : la guerre éclate, la vie s'arrête et de l'instituteur en uniforme militaire, il ne reste qu'une photo jaunie, gardée secrètement au fond du tiroir des regrets éternels... 

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Oeuvre de Gilbert * La Trilogie Armstrong (inédit et inachevé) 23.

10 Mai 2010, 11:23am

Publié par Flora

V.

Son rêve aurait été de franchir les limites de la durée, mais il ne savait pas comment s'y prendre.

Et le temps coulait sans discontinuer.  (Andreï Biely : Symphonie dramatique)

 

   Quand Spoutnik fut lancé, en 1957, Philibert Tique avait huit ans. Avec l'instituteur et toute sa classe, il s'émerveilla pour l'étrange pulsation tombée du ciel, ce "bip bip" signalant que, pour la première fois, l'humanité, représentée par une boule hérissée d'antennes, touchait au ciel. En 1961, nouvelle étape : Youri Gagarine, échappait à la pesanteur de la Terre. Les parents de Philibert, catholiques éperdus, voyaient dans ces exploits une sorte de sacrilège : des communistes athées qui osaient défier Dieu. Leur fils, dont l'adolescence débutait, se prit, par contre-pied, d'une passion pour l'astronautique soviétique. Sergueï Korolev, le constructeur de la fusée Sémiorka, les cosmonautes Nikolaïev, Popovitch, Bykovsky, Beliaïev rejoignaient dans son Panthéon des êtres de fiction, Tintin ou le capitaine Nemo. Lorsqu'il apprit que Valentina Terechkova, première femme de l'espace, serait reçue à Laon par la municipalité, il élabora des stratégies pour l'approcher, la toucher. Ne disposant d'aucun passe-droit, ses parents ne faisant pas partie des invités d'honneur, il en fut réduit à constater que ses coudes n'étaient pas assez pointues pour le propulser au premier rang parmi les élus qui serraient la main de l'héroïne russe, sur le trottoir, à la sortie de la mairie. Il se replia dans les journaux évoquant la course au cosmos, ajouta quelques images fortes à ses rêves, Alexeï Leonov, premier "piéton de l'espace" et Luna 9, première sonde posée en douceur sur la Lune, le 31 janvier 1966.

   Louis Armstrong n'était pas détrôné. A la musique des sphères célébrée par ses parents, aux sonorités informatiques des ingénieurs soviétiques, Philibert Tique préférait toujours les rythmes divins du jazz. Son désir le plus fou était de se retrouver en orbite autour de la Terre dans une capsule Vostok, un casque sur la tête pour écouter That lucky old sun ou Where the blues were born in New Orleans. D'ailleurs, s'il l'ignorait encore, sa période russe s'achevait. Le 23 avril 1967, le cosmonaute Vladimir Komarov se tuait en expérimentant le premier Soyouz. Comme son ami Steve King l'avait prédit, le premier homme sur la Lune serait américain. Dans la vie de Philibert, Louis Armstrong aurait un successeur. 

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Bribes de mémoire 65. A l'apprentissage de la langue turque

8 Mai 2010, 17:51pm

Publié par Flora

Grand Bazar 2Une des premières choses que j'apprends en turc, c'est compter. Notre vie quotidienne est à ma charge, je suis donc au contact de tout ce tissu multicolore et laborieux qui la dessert : les innombrables petites boutiques  -  les supermarchés sont quasiment inexistants dans les années 80  -  où je fais mes courses quotidiennes, en arpentant les rues au revêtement souvent délabré, en pentes raides de Cihangir, cinq ou six paquets au bout des bras. Cela peut sembler gai sous le soleil mais dès l'arrivée du mauvais temps, avec le crachin insidieux et chargé des émanations du chauffage au mauvais charbon, le ruissellement de boue sur les pavés disjoints, la tâche devient nettement moins agréable...

   C'est une excellente école pour apprendre la langue, surtout pour quelqu'un comme moi qui préfère l'aborder par la pratique, plutôt que d'ingurgiter des listes de mots sur un cahier. Je crois que, tout professeur de langues que je suis, j'apprends les langues à la manière d'un enfant, m'immergeant dans un bain de sonorités, d'intonations, de musique en somme, les absorbant comme une éponge, sans me soucier, dans un premier temps, des règles de grammaire ou de syntaxe et je préfère deviner le sens des mots dans leur contexte plutôt que de les apprendre sur des cahiers. Une sorte de chasse aux trésors...

   Cela suppose de ne pas être gêné ou complexé par les inévitables fautes, ni paralysé par les sourires amusés des interlocuteurs ! Gilbert qui est beaucoup plus consciencieux et qui possède cent fois plus de mots, reste dans un mutisme prolongé, de peur de se ridiculiser en disant une phrase incorrecte ; je me sers souvent de son savoir, façon dictionnaire, lorsqu'un mot me manque...

   Rapidement, je deviens incollable sur l'endroit où trouver un réparateur de chauffage ou un plombier, où louer une bouteille de gaz (livrée à domicile), quel est le quartier des ferblantiers... Car à Istanbul, comme dans beaucoup de contrées orientales, les marchands et artisans se regroupent par spécialités, partant de l'idée qu'une telle concentration attire le chaland, au lieu de faire craindre la concurrence. D'ailleurs, ils n'hésitent pas à vous orienter chez un confrère s'ils ne peuvent vous offrir ce que vous cherchez... 

la suite suivra...

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Ágnes Nemes Nagy (1922-1991) : Arbres

6 Mai 2010, 21:35pm

Publié par Flora

ARBRES

Il faut apprendre. Les arbres de l'hiver.

Gelés jusqu'aux racines.

Roi des rideaux.

 

Il faut apprendre cette raie

Où le cristal se fait buée

Où l'arbre est à l'instant de devenir brouillard

comme le corps un souvenir.

 

Et le fleuve au-delà des arbres,

le vol silencieux des canards sauvages

la nuit bleue, son aveugle blancheur,

la nuit pleine d'objets masqués.

Il faut apprendre ici les actes

indicibles des arbres.

traduction : Paul Chaulot

 

FÁK

Tanulni kell. A téli fákat.
Ahogyan talpig zúzmarásak.
Mozdíthatatlan függönyök.

Meg kell tanulni azt a sávot,
hol a kristály már füstölög,
és ködbe úszik át a fa,
akár a test emlékezetbe.

És a folyót a fák mögött,
vadkacsa néma szárnyait,
s a vakfehér, kék éjszakát,
amelyben csuklyás tárgyak állnak,
meg kell tanulni itt a fák
kimondhatatlan tetteit.

 

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Questionnement sur la solitude

3 Mai 2010, 21:38pm

Publié par Flora

illo-solitude.jpgIl ya quelques jours, je suis tombée sur une phrase de Blaise Pascal, tirée des Pensées : "... j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre."  Bien sûr, une telle phrase a aussitôt déclenché une avalanche de réflexions en moi : j'ai une attitude évolutive envers la solitude. 

   Pendant très longtemps, j'ai pensé que la compagnie des autres était mon oxygène. Les rares moments de solitude, je les ai passés comme un intermède court et pénible, en attendant qu'il cesse, le plus tôt possible ! J'avoue même avoir eu tout simplement la trouille ! Je me souviens d'être restée quelques semaines seule en Algérie, à Constantine : j'enseignais, tandis que Gilbert est rentré en France pour passer le stage du CAPES. Eh bien, durant des semaines, nos amis belges, un jeune couple, venaient me tenir compagnie jusqu'à l'aube, en discutant ou jouant aux cartes, pour que je n'aie pas peur...

   Bien plus tard, ici à Valenciennes, lorsque Gilbert devait rester hospitalisé plusieurs jours, voire des semaines, je dormais (très peu) la lumière allumée, le sang glacé au moindre craquement nocturne de la maison. Bizarrement, dès le moment où ma solitude est devenue inéluctable et irréversible, elle a cessé d'être menaçante; elle est devenue ordinaire  -  j'oserais même dire familière. J'ai compris soudain qu'il était inutile de fuir, qu'il valait mieux regarder les choses en face. Que de ce tête-à-tête forcé avec moi-même, il pourrait sortir quelque chose d'inconnu, d'intéressant même. Je n'avais jamais vraiment eu le temps de m'arrêter pour dialoguer avec moi-même...  

   Bien sûr, je ne parle pas de la solitude absolue, mortifère, mais de celle, choisie, fertile en pensées et qui se suspend de temps en temps pour faire place aux échanges. Celle qui permet de vivre à son rythme, de s'arrêter pour savourer l'instant...

 

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Eléonore G. * suite du "confessionnal"... (huile, 1988)

2 Mai 2010, 10:41am

Publié par Flora

petite Galley

Eléonore, une fillette de 12 ans environ qui s'est soumise également à la torture de la pose, ce qui, de la part d'un enfant, était un effort considérable... Elle était de passage chez son père, en poste à Istanbul. Sur son visage, elle gardait un voile de mélancolie de ses parents désunis...

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Oeuvre de Gilbert * La Trilogie Armstrong (inédit et inachevé) 22.

1 Mai 2010, 11:58am

Publié par Flora

L'ombre portée par une tige indique l'heure sur un cadran peint ou sculpté. Mais le soleil n'occupe pas la même place dans le ciel selon que l'on habite Rome ou la Bretagne. C'est pourquoi ont été inventés les cadrans solaires de hauteur, quart de cercle vertical, pour les pays du sud et les cadrans solaires de direction, demi-cercle horizontal, pour les pays du nord.


   Après de longues années dans une maison de santé, la narrateur du Temps retrouvé regagne Paris en 1916. Il y découvre l'éventail des réactions face à la guerre : la lâcheté de Morel qui a déserté, l'héroïsme de Robert de Saint-Loup qui s'est engagé par patriotisme et va mourir au front. Entré par hasard dans un hôtel louche, il s'aperçoit que Monsieur de Charlus, client assidu, vient se faire fouetter par de jeunes amants. Je vous en supplie, grâce, grâce, pitié, détachez-moi, ne me frappez pas si fort disait une voix. Je vous baise les pieds, je m'humilie, je ne recommencerai pas. Ayez pitié.  -  Non, crapule, répondit une autre voix, et puisque tu gueules et que tu te traînes à genoux, on va t'attacher sur le lit, pas de pitié, et j'entendis le bruit du claquement d'un martinet, probablement aiguisé de clous, car il fut suivi de cris de douleur.

    L'hôpital a téléphoné. Un rendez-vous pour l'IRM, dans trois semaines. Ils ne sont pas pressés. Tout va bien. Enfin, presque. De l'eau coule du plafond. Pourtant, rien ne fuit dans la salle de bain, à l'aplomb de cette clepsydre incongrue. La maison me ressemble, touchée à mort, sans raisons apparentes. Comme je ne sais pas nager, j'appelle un plombier. Il décide d'abattre le plafond pour rechercher la fuite. Des gravats envahissent le couloir, des tuyaux émergent. Le bruit m'empêche de travailler. Le bruit et autre chose, une petite idée qui me trotte dans la tête. Je me sens plafond, creusé d'un vide énorme, et je n'ai pas la volonté de me laisser colmater. L'assurance va rembourser les dégâts des eaux. Et les dégâts des os ?  

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János Pilinszky (1921-1981) : UN BEAU JOUR

29 Avril 2010, 19:27pm

Publié par Flora

UN BEAU JOUR

C'est toujours la cuiller en fer blanc égarée,

c'est le paysage bric-à-brac de la misère que je cherchais,

dans l'espoir qu'un beau jour

m'inondent les pleurs, avec douceur m'accueillent

la vieille cour, le silence du lierre,

notre maison, son chuchotement.

 

Toujours,

je désirais toujours rentrer chez moi.

traduction : Maurice Regnaut

 

EGY SZÉP NAPON

Mindíg az elhányt bádogkanalat,
a nyomorúság lim-lom tájait kerestem,
remélve, hogy egy szép napon
elönt a sírás, visszafogad szeliden
a régi udvar, otthonunk
borostyán csöndje, susogása.

Mindíg,
mindíg is hazavágytam.
 

 

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