Oeuvre de Gilbert * La Trilogie Armstrong (inédit et inachevé) 12.
La rentrée approche. Est-ce que mes étudiants vont me trouver changé ? Est-ce que la mort se lit sur mon visage ? On devrait peindre en bleu les gens
appelés à succomber dans l'année. Ce serait le signe qu'il ne faut pas les approcher. A quoi bon nouer des relations avec une personne qui ne sera plus ? A quoi bon entamer une thèse avec un
professeur qui n'en verra pas la fin ? A quoi bon disserter sur le big bang avec celui qui tombe dans un trou noir ?
Autre avantage, en ce monde d'euphémismes, d'accidents de la vie, de personnes de petite taille, l'affreux mot d'agonie serait enfin banni. On parlerait de "période bleue".
Je romps les ponts, l'un après l'autre. Je deviens schtroumpf. Voisins, amis, collègues apprennent la nouvelle, sans que je l'aie voulu. Peur de la maladie, pudeur ou réticences, la plupart s'abstiendront de me rendre visite. Je ne suis pas certain qu'Edouard l'ait deviné. Trop de projets l'accaparent : obtenir que l'université finance son déplacement à Miami pour un colloque en bord de plage, faire inscrire son nom en gras sur la couverture d'un opuscule où il a rédigé une contribution que quatre personnes liront, guider Estelle et ses yeux bleus à travers "la dialectique du rationnel et de l'irrationnel", passer des heures au téléphone à me parler du seul sujet qui vaille : lui-même.
Sa dernière histoire de voyage temporel est empruntée à un écrivain mineur, Cyril Kornblut, j'ai retenu le nom, il l'a répété treize fois. W. J. Born, un homme d'affaire américain, rêve d'une méthode infaillible pour détecter en Bourse les actions prometteuses. Il fait construire par un savant une machine à voyager dans l'avenir. Son premier essai le propulse deux ans plus tard. Une violente crise économique ravage la planète ; elle a pour origine un krach boursier. De retour au présent, W. J. Born s'empresse de vendre l'ensemble de ses actions. Cette décision déclenche la crise...
Ce maladroit me donne des idées. Je me projette dans l'avenir, un saut de puce, six ou sept mois. Je découvre, effaré, que je suis mort dans des souffrances horribles. Pour prévenir le drame, je retourne au présent ; je me suicide...
Autre avantage, en ce monde d'euphémismes, d'accidents de la vie, de personnes de petite taille, l'affreux mot d'agonie serait enfin banni. On parlerait de "période bleue".
Je romps les ponts, l'un après l'autre. Je deviens schtroumpf. Voisins, amis, collègues apprennent la nouvelle, sans que je l'aie voulu. Peur de la maladie, pudeur ou réticences, la plupart s'abstiendront de me rendre visite. Je ne suis pas certain qu'Edouard l'ait deviné. Trop de projets l'accaparent : obtenir que l'université finance son déplacement à Miami pour un colloque en bord de plage, faire inscrire son nom en gras sur la couverture d'un opuscule où il a rédigé une contribution que quatre personnes liront, guider Estelle et ses yeux bleus à travers "la dialectique du rationnel et de l'irrationnel", passer des heures au téléphone à me parler du seul sujet qui vaille : lui-même.
Sa dernière histoire de voyage temporel est empruntée à un écrivain mineur, Cyril Kornblut, j'ai retenu le nom, il l'a répété treize fois. W. J. Born, un homme d'affaire américain, rêve d'une méthode infaillible pour détecter en Bourse les actions prometteuses. Il fait construire par un savant une machine à voyager dans l'avenir. Son premier essai le propulse deux ans plus tard. Une violente crise économique ravage la planète ; elle a pour origine un krach boursier. De retour au présent, W. J. Born s'empresse de vendre l'ensemble de ses actions. Cette décision déclenche la crise...
Ce maladroit me donne des idées. Je me projette dans l'avenir, un saut de puce, six ou sept mois. Je découvre, effaré, que je suis mort dans des souffrances horribles. Pour prévenir le drame, je retourne au présent ; je me suicide...
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