La Princesse de Clèves est-elle assassinée?...
Dans le N°2396 (7-13 octobre) du Nouvel Observateur,Jacques Julliard intitule sa chronique : "La princesse assassinée". C'est une plaidoirie passionnée et véhémente contre les fossoyeurs de la langue - et la culture - française, contre ceux qui, sous l'aspect d'une capitulation lâche et inculte, par pur snobisme souvent, véhiculé servilement par les médias, singent un anglais désossé...
En réaction à cet article, j'ai écrit une lettre à mon hebdomadaire préféré qui en a publié quelques extraits dans la page des lecteurs (N° 2398 21-27 oct).
"En lisant la chronique de Jacques Julliard "La princesse assassinée" ,je n'ai pas pu m'empêcher de vous envoyer cette courte réflexion. Le français est ma langue d'adoption. Dans mon pays d'origine, la Hongrie, je l'ai apprise à l'école ; plus tard, je l'ai enseignée au lycée comme langue étrangère, avec le russe. Ce dernier était alors obligatoire, le français, je l'ai choisi, j'ai aimé les deux.
Plus tard, j'ai approfondi mes connaissances, grâce à mon mari, Français, professeur de lettres et écrivain. Pendant des années, nous avons vécu dans des pays divers et partout, j'ai pu rencontrer la même motivation pour l'apprentissage du français : on choisit l'anglais pour des raisons pratiques et le français, par amour et admiration pour sa beauté et pour le passé glorieux de la culture qu'il véhicule.
Je vis maintenant en France depuis une vingtaine d'années. Je peux confronter le français de mes études, de mes lectures avec la réalité du présent. Loin de moi l'idée de geindre avec le choeur des "anciens combattants". Une langue est une matière vivante et le reflet de son époque, de ses idéaux ou de l'appauvrissement de ceux-ci. Entrer dans des grands textes demande de faire un peu d'effort, au lieu de se laisser abrutir par des facilités creuses, habillées d'un langage miteux et famélique, balbutiant quelques centaines de mots de vocabulaire. Et pourtant, la richesse infinie du français m'a toujours enchantée : souple comme une liane et rigoureusement limpide, élégant et juste à la fois, sans heurts et sans lourdeurs. Jusqu'à la fin de mes jours, je n'aurai pas assez de temps pour explorer, tenter de m'approprier ses infinis raffinements, à la recherche du mot juste. Que de plaisirs intenses se perdent pour ceux qui se contentent d'une poignée de bredouillis!
L'époque nous porte vers une vitesse toujours plus élevée et l'attention n'a plus le luxe de se poser. La mode est au moindre effort. Une langue atrophiée reflète une pensée atrophiée.
Il est coutumier de réclamer la réforme de l'orthographe pour respirer avec son époque et ses mutations. Jacques Julliard a raison en disant que le danger d'une anglicisation inculte et snob est bien plus grand pour la langue française qu'une orthographe estropiée.
Je suis bien placée pour réfléchir sur la question complexe de l'identité. S'exprimer dans une langue ou dans une autre équivaut à changer de peau. Cultiver ses différentes "peaux", c'est s'enrichir de ces lingots d'or que personne ne peut vous dérober...
8 octobre 2010.