Le blog de Flora

Bribes de mémoire 5. Enfance, soleil...

9 Août 2008, 10:32am

Publié par Flora

   Lorsque je me retourne sur ce chemin qui se perd désormais dans un lointain toujours plus éloigné, je perçois du soleil, une sensation de chaleur constante et enveloppante qui ne vient pas uniquement du ciel bleu éternel de mes souvenirs, assurément. Un sentiment est absent : la solitude. Mon frère est un compagnon de jeu de chaque instant  -  nous n'avons pas tout à fait deux ans d'écart  -  jusqu'à l'adolescence. Avec les autres enfants du voisinage, plus ou moins du même âge, les enfants de la paix revenue, nous inventons nos jeux, faute d'avoir des jouets sophistiqués à notre disposition. Ces jeux se déroulent en plein air : les adultes ne tiennent pas à nous avoir dans leurs pattes à l'intérieur et nous sommes donc oxygénés en permanence, pas besoin de promenade à portion congrue dans un square réduit de quartier où s'entassent enfants, vieux et chiens en laisse. Tout le quartier nous appartient, avec ses cachettes connues de nous seuls.
   Nous passons les trois mois d'été pieds-nus. Fin mai, l'abandon des chaussures est un signal excitant de l'arrivée de la vraie chaleur, celle qui monte allègrement au-dessus de 30° et qui ne doit pas pour autant empêcher les hommes et les travaux d'avancer. Les maisons restent fraîches avec leurs murs en torchis de plus de cinquante centimètres d'épaisseur, trapues, toutes de plain-pied. Le sol est en terre battue, badigeonné régulièrement et recouvert de tapis artisanaux, confectionnés avec des chutes de tissus qui mettent couleurs et gaîté dans la sobriété des murs chaulés.
   Dans les cuisines, le foyer en terre des débuts est remplacé  -  signe du progrès  -  par une cuisinière en fonte, nourrie toujours par des tiges de maïs séchées, du bois, voire de grosses galettes de bouses de vache séchées mélangées avec de la paille, dans des périodes de vaches maigres, pour ainsi dire... Cela ne donne que l'illusion de la chaleur.
   Lorsque le soleil, fatigué d'épuiser la terre et les vivants se décide de descendre à l'horizon, nous dessinons des grands huit avec nos arrosoirs sur le trottoir. Les voisins s'installent sur les bancs et les tabourets pour prendre de la fraîcheur, dévider les nouvelles et la fatigue de la journée, deviser ou se taire. Les femmes prennent parfois au creux de leur tablier petits pois à écosser, pommes de terre à éplucher, vêtements à raccommoder, tâches plus légères en compagnie et qui évitent de rester les mains inoccupées. Je vois encore mon père ou mon grand-père affiler la faux ou la binette, assis dans l'herbe devant la maison, encouragés par les passants occasionnels. Comment se sentir seul dans de pareilles conditions?
la suite suivra...   

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F
Merci de ton extrême gentillesse!
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A
Flora, ne dis surtout pas que tu n'es pas écrivain ! Tu écris remarquablement bien, tu maîtrises le français à la perfection, ton vocabulaire est d'une richesse incroyable et ta prose est magnifique. Et toutes ces "bribes de mémoires" mises bout à bout, ne constituent-elles pas un roman, ou plutôt un récit autobiographique que je te conseille ardemment de faire éditer lorsque tu seras arrivée à la fin ? C'est un témoignage extrêmement intéressant sur un parcours atypique et qui, personnellement, me passionne. J'espère que tu raconteras chaque étape, et bien sûr ta rencontre avec Gilbert !
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F
Profite bien de la chance de ne pas être encore "rentière"...<br /> Pour moi, la question de la forme ne s'est pas posée : n'étant pas écrivain, je serai incapable d'écrire de la fiction, même de "l'autofiction"!
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A
C'est en projet depuis longtemps ! mais je ne sais pas sous quelle forme je dois le faire : roman, ou simplement "Mémoires" ? je voudrais extirper tous ces souvenirs avant qu'ils ne m'échappent pour toujours, et puis, j'ai tellement l'impression que cette époque est révolue à jamais. Je pense que tous les enfants des années 60 et 50 du Nord de la France s'y retrouveraient !<br /> Mais avant, tu sais bien que j'ai d'autres projets sur le feu, dont Chopin qui attend depuis pas mal de temps... Ah, si j'étais rentière, je serais plus disponible... !
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F
Bonsoir à vous deux et merci pour votre visite! Je suis contente d'avoir contribué à ouvrir "la porte magique" de vos souvenirs d'enfance! Comme j'ai dit au début, c'est le réservoir magique dans lequel on puisera toute sa vie, les bonnes choses comme les mauvaises... Chère Ame Chopinienne, qu'attends-tu pour leur donner vie - comme Muriel commence déjà à le faire dans l'ébauche de son roman - vous possédez à merveille votre langue maternelle!...
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