Le blog de Flora

Bribes de mémoire 72. S'expatrier en Algérie

10 Septembre 2010, 17:50pm

Publié par Flora

photo0001.jpgLe déménagement de mes affaires de Hongrie mérite un petit détour en quelques mots. A première vue, cela paraît simple : au début de ma vie professionnelle, je n'en possédais pas des montagnes. Des vêtements et surtout des livres dont je n'imaginais pas me séparer. Il a fallu une autorisation spéciale de la Bibliothèque Nationale sur présentation desdits livres et non seulement de leur liste! Donc, tout charrier à Budapest, aller et retour! L'emballage de toutes mes affaires, vêtements et livres, a du s'effectuer à notre domicile, par des mains propres (gantées!) de deux douaniers qui ont pu apposer ainsi un sceau inviolable sur les malles.

   Elles sont arrivées en France pour être ajoutées à celles de Gilbert, augmentées de quelques meubles de famille prêtés pour notre future vie nord-africaine. Le mois d'août s'est passé en d'innombrables formalités à régler. Au moment où Gilbert prenait l'avion pour Alger, une crise d'appendicite m'a clouée sur un lit d'hôpital à Laon et ainsi, je ne l'ai rejoint qu'avec une semaine de retard et quelques points de suture de plus...

   Débarquée à l'aéroport de Constantine, j'ai été plongée aussitôt dans une multitude de sensations nouvelles et inattendues : les bruits, la lumière, les parfums et le paysage, les essaims d'enfants courant en liberté parmi les voitures et ce ciel si haut, si profond et si lumineux! Je me souviens de l'émotion encore si vivante d'un léger étourdissement, causé à la fois par ma récente hospitalisation, la chaleur africaine et surtout, les retrouvailles avec Gilbert que j'avais quitté pour la première fois... Nous étions, tous les deux, dans une bulle, sur notre nuage privé!

  J'ai trouvé mon mari tout neuf au bord de la déprime : dans un Constantine surpeuplé, trouver un logement était quasi insurmontable! Nous avons échoué dans un centre d'accueil de la MGEN, un appartement où, par chance, on a pu nous attribuer une chambre avec un grand lit, tandis que 4 autres enseignants français célibataires étaient regroupés dans le salon. Un pèlerinage hebdomadaire débutait alors aux bureaux de la C.I.A. (sic!)  -  Compagnie Immobilière Algérienne  -  dans l'espoir de nous voir accorder un logement, nécessité d'autant plus urgente que notre déménagement ne tardait pas à arriver. Les employés impassibles derrière leurs guichets ne nous donnaient jamais de réponse définitive mais invariablement la même : "Revenez dans une semaine!"

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Oeuvre de Gilbert * La Trilogie Armstrong (inédit et inachevé) 30.

9 Septembre 2010, 11:01am

Publié par Flora

  Je me laisse enfermer dans la machine à résonance, un cylindre étroit, fermé à une extrémité, où l'on entre tête la première et dont seuls les pieds dépassent. Je me résigne au bruit assourdissant, à l'étouffement, le poing crispé sur la poire ridicule qui permet au patient d'appeler du secours s'il ne se sent pas bien. J'imagine que l'hôpital prend feu. Médecins et infirmières s'enfuient, me laissant dans mon tube. Je sonne en vain. Je tente de ramper vers la sortie mais l'espace est trop réduit pour mon corps d'obèse. Les flammes viennent lécher mes plantes de pied. Dans leurs bus à l'arrêt, les chauffeurs boivent, mangent, rient, bavardent.

   Je quitte l'hôpital sans avoir obtenu les résultats. Il paraît que le radiologue a été appelé en urgence pendant que je me rhabillais. Personne d'autre n'est en mesure d'analyser les clichés de ma colonne. Je patienterai jusqu'à la semaine prochaine, tellement vieilli qu'Ariane pourra me vendre, momie bêtement moisie, privée de l'enthousiasme des débuts du cancer, quand j'avais hâte d'entrer dans le vif du sujet.

*

   Le sommeil a toujours été, pour Philibert Tique, un graal inaccessible. Après des tâtonnements multiples, des ordonnances pour des somnifères qu'il n'avait jamais pris, craignant la dépendance, les médecins avaient conclu à un phénomène naturel. Comme une fraction infime de l'humanité dont Napoléon et quelques célébrités, leur patient ne souffrait d'aucune maladie ; son horloge biologique ne nécessitait que deux ou trois heures de sommeil. Le scepticisme de Philibert était total. S'il n'avait pas besoin de dormir, pourquoi se sentait-il fatigué dans la journée après ses nuits d'insomnie ?

   Faute de pouvoir compter sur la médecine, il développa des tactiques personnelles. Compter les moutons l'amusa quelques temps. Mais il trouva bientôt des calculs plus personnels. En souvenir de son enfance où le sommeil ne se refusait pas, il déclinait les titres majeurs de Louis Armstrong, de Bugle Call Rag à Panama. Comme cela ne suffisait jamais, il égrénait les noms des cosmonautes et astronautes ayant précédé dans l'espace le héros suprême, Neil Armstrong. En désespoir de cause, il enchaînait les vainqueurs du Tour de France, depuis Henri Garcin en 1903. Le cancer, et surtout la cortisone qui accompagnait les chimiothérapies, aggravèrent les insomnies. Il faisait semblant d'en tirer un plaisir. Au lieu de s'endormir sur 1924, Bottechia ou 1947, Robic, il prolongeait la liste jusqu'au nom favori : 1999, Armstrong.

 

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Arachnéenne

2 Septembre 2010, 10:33am

Publié par Flora

illo-solitude.jpg J'ai à peine connu mon père. Parfois, comme dans un brouillard ou dans le halo poussiéreux et brûlant de l'été, sa silhouette fait irruption dans mes souvenirs, à la manière d'un instantané qui agrandirait certains détails au hasard : un regard bleu, un visage tavelé à l'ombre du chapeau de paille, ses mains à la peau rêche et à la caresse rugueuse... Je devais avoir cinq ans à peine, lorsqu'il est mort dans un accident, écrasé sous son tracteur. Ma mère est restée inconsolable. Je dis ça maintenant mais de cette époque, il ne me reste qu'un sentiment de vague oppression, une tristesse permanente qui pesait sur mon enfance. Ma mère, encore très belle avec ses longues tresses noires qu'elle cachait sous un foulard, rabattait toute sa tendresse sur moi, sur "son petit homme", comme elle disait. Cependant, c'était une tendresse douloureuse, sauvage, empreinte de toute la détresse du monde et qui m'écrasait de son désespoir sans fin.

   J'ai cinquante-deux ans à présent. Je vis toujours dans cette maison comme une mouche momifiée dans la toile d'araignée. J'ai le sentiment que je ne me débarrasserai jamais de ces liens...

   J'ai été un très bon élève à l'école, cherchant sans doute inconsciemment à faire plaisir à ma mère. Elle était fière de moi! J'ai franchi le baccalauréat brillamment et avec facilité. J'ai bien grandi, plaisais beaucoup aux filles, sans faire le moindre effort pour attirer leur attention. Cette imperceptible mélancolie que je devais dégager, agissait comme un appât, alors que je ne me sentais pas disponible au moindre flirt. Ma vocation était ailleurs : rendre le sourire à ma mère.

   Je n'y suis pas parvenu. Après le bac, j'ai cédé à la tentation irrépressible de continuer mes études, à quelque cent kilomètres de ma mère. Elle ne supportait pas l'idée que je m'éloigne, que je vive, je respire sans elle. Ce deuxième abandon, si définitif. Une trahison. Elle a tout essayé pour me retenir. Jusqu'au chantage infâme, la vengeance infaillible et parfaite. "Si tu t'en vas, je me tue!" Je n'y ai pas cru, sursaut vital, instinct égoïste. Ma vie! J'existe! J'ai envie de respirer enfin. On est si plein de soi à vingt ans...

   Une semaine après mon départ, un télégramme m'a rappelé d'urgence. Elle a réussi à renouer les liens indestructibles qui m'attachent désormais à cette maison où elle s'est pendue à 42 ans.

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