Le blog de Flora

Drapé * sanguine

3 Septembre 2008, 02:40am

Publié par Flora

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Oeuvre de Gilbert * "Un teint de porcelaine"

2 Septembre 2008, 19:50pm

Publié par Flora

   Annick était fragile, bien trop fragile, je l'ai toujours dit. On ne cesse de me le reprocher, comme si le fait de l'avoir épousée me rendait responsable de tout! Les gens sont injustes... Ils ont l'art de transformer la victime en coupable et parce qu'elle a eu de la chance de mourir jeune, on lui découvre toutes les qualités. Pourtant, si quelqu'un a lieu de se plaindre, c'est moi. Veuf à quarante-neuf ans !  Ce n'est plus si facile de se recaser...
   Sa fragilité ne date pas d'hier, loin de là. Avec un peu d'attention, tout le monde l'aurait remarqué. L'hiver venu, elle succombait au premier virus. Rien n'y faisait, ni les cures préventives, ni les vaccinations, ni les piqûres, suppositoires, sirops et comprimés. De rechutes en convalescences, elle passait des semaines entières au lit, au milieu d'une impressionnante pharmacie, des semaines pendant lesquelles je me contentais de conserves et de surgelés, à en attraper des boutons, sans compter que je ne m'étais pas marié pour vivre dans l'abstinence...
   Les médicaments n'étaient jamais assez efficaces ou provoquaient des effets secondaires ahurissants. Elle rougissait par plaques, bleuissait, verdissait, enflait du visage ou des membres, parfois du nez seulement, de la bouche, des yeux. Je me réveillais auprès d'un monstre qui suffoquait, à me demander si on ne m'avait pas transporté, pendant la nuit, sur le tournage d'un film d'horreur. Un cardiaque ne s'en serait pas remis... Heureusement, Corinne se montrait assez compréhensive pour m'accueillir dans ces cas-là.
   Un vrai calvaire, toutes ces années... On l'a oublié. On ne veut pas le savoir. C'est tellement facile de s'en prendre à moi maintenant, de m'accuser de tous les maux. J'aurais dû me méfier... Avant le mariage déjà, elle montrait des signes de faiblesse. La première sortie dans ma vieille décapotable... L'angine attrapée à cause du courant d'air et dont elle m'avait fait immédiatement cadeau, à coup de baisers. Si je ne l'avais pas embrassée, qui est-ce que l'on aurait montré du doigt? Une angine! En plein été! Ne me dites pas que c'est normal....
   Et si elle s'était contentée de tomber malade... quel cirque, le jour où elle a découvert que je la trompais avec Corinne! Incroyable... Crise de nerf, reproches, sanglots, tout y est passé. On s'était pourtant mis d'accord, avant le mariage. Mes paroles avaient été limpides : "On se dit tout et chacun garde sa liberté".
   Comment se montrer plus conciliant? Eh bien, non! Les grandes eaux, à en noyer l'appartement. Et ce n'est pas tout. Comme elle s'était évanouie, je lui ai donné des petites gifles pour la ranimer. C'est la mailleure méthode, tout le monde le sait. Qu'est-ce que je n'avais pas fait! Madame est allée exhiber son oeil au beurre noir dans le voisinage, se faire prêter des escalopes ou des compresses. Cet oeil aussi, on me le reproche maintenant. [...]

éditions Manuscrit  2001  in   "Ennemis très chers"

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Bribes de mémoire 10. De mon grand-père paternel (1)

1 Septembre 2008, 18:09pm

Publié par Flora

   Avant que l'omniprésence magique de la télé ne gagne les foyers, d'innombrables occasions se présentent pour la transmission de l'histoire familiale. Nous, les enfants, sommes insatiables à écouter et à réécouter les récits de mon grand-père dont la guerre avait fait un aventurier bien malgré lui.
   Je me rends compte soudain que d'un côté comme de l'autre, c'est le grand-père qui raconte. Pourtant, tout nous fascine dans ces vies d'autrefois dont nous sommes issus mais de mes grands-mères, je ne saurai presque rien. Pourquoi? Mystère... Je pencherais plutôt vers cette habitude inculquée par une éducation séculaire : la femme se tait et écoute l'homme qui ramène aussi les histoires de l'extérieur.
   Mon grand-père paternel est né en 1887, dans une famille dont la seule richesse était ses nombreux enfants. Pendant la bonne vingtaine d'années que je l'ai connu, il a toujours la même tête, la même silhouette, sans vieillir ou toujours vieux : très petit (1 m 60 à peine), vif sans jamais se presser. Mais ce dont je me souviens le plus c'est d'un sourire qui éclaire très souvent son visage et ses yeux bleus lumineux que j'espérais vainement en héritage... Mon grand-père, c'est un tout : une réelle bonté, une gentillesse dont je ne l'ai jamais vu se départir, jamais entendu lâcher un juron qui soulage la colère et dont la langue hongroise est si généreuse. Je me demande souvent quel était son secret, quels gènes familiaux distribuaient cette joie de vivre indestructible, simple et permanente dont ses frères et soeurs étaient également gratifiés?
   Souvent, il n'y a pas assez à picorer dans la corbeille à pain, pas même de croûtons secs. On amène donc les enfants au marché, dès l'âge de six ans, pour essayer de les caser chez les paysans riches. Ces récits comme leur souvenir ne cesse de me serrer le coeur. Et pourtant, mon grand-père les raconte avec le sourire, comme une fatalité simple et inévitable, à laquelle il a survécu : il est donc le gagnant, en fin de comptes.
   Chez le paysan, il dort avec le bétail, dans la paille de l'étable. Il dit que ça tient chaud, une vache qui vous souffle dessus, il lui en est reconnaissant. La paye pour un an de peine : un demi-sac de blé et une paire de bottes usagées mais on est nourri et logé. Le fils du patron est un plaisantin sadique : il le suspend au-dessus du puits par une jambe en lui faisant peur de le lâcher... Il l'oblige à marcher à cloche-pied sous peine de le piquer avec une fourche s'il pose le pied... Je retiens mon souffle et regarde son sourire édenté. Il n'a qu'un seul regret : être privé de l'école comme exclu du paradis. A l'armée, on lui apprend à signer son nom avant de l'envoyer sur le front russe
. 

    la suite suivra... 

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