Questions insidieuses
J'ai tondu la moitié du jardin, dans l'euphorie du soleil revenu, mais un énorme nuage noir et menaçant, arrivé d'on ne sait où, m'a fait rebrousser chemin et incitée à mettre à l'abri dare-dare la tondeuse électrique!
Le rythme tendu des dernières semaines m'a obligée de laisser maison et jardin à l'abandon. La pelouse arrive aux genoux, la maison crie après l'aspirateur et moi, après le repos!...
Je suis retournée à notre expo samedi et dimanche. Environ 200-250 visiteurs ont fait le tour des tableaux et des sculptures pendant les après-midi du week-end. Je serai encore de permanence du 8 au 12 juin presque tous les jours.
Souvent, je prends des ustensiles pour travailler un peu pendant l'attente, au lieu de compter les heures sur place. Il m'arrive aussi d'échanger avec les collègues et les visiteurs, ce qui est souvent intéressant.
Un sujet me tarabuste souvent, révélé par Mehmet Güleryüz, éminent peintre turc dont je fréquentais l'atelier durant 4 ans. Il m'a dit un jour: "Toi, tu n'es pas prête à sauter dans le ravin!" Sur le coup, sa phrase m'a troublée mais en y réfléchissant, je lui donne raison. Celui qui, doté d'un peu de talent, s'essaye à la création - quel qu'en soit le domaine - se confronte tôt ou tard à la nécessité de se pencher sur le précipice. Des génies y ont même basculé (Van Gogh, Schumann, Faulkner et la liste est encore longue) car l'abîme a un grand pouvoir d'attraction. Pour créer quelque chose de grand, de vrai et de hors norme, il faut descendre très profondément en soi pour pouvoir remonter le précieux minerai dont on peut extraire le chef-d'oeuvre. Au risque de rester au fond.
Sinon, on peut continuer à gratouiller la surface, créer même d'honnêtes oeuvres routinières, sans se mettre en danger.
Avec ce sentiment insidieux de lâcheté au fond de soi.
Ce matin, mon calendrier de sages citations me jette ce proverbe chinois à la figure:
" Les grandes âmes ont la volonté; les faibles n'ont que des souhaits."
(un de mes dessins exposés)